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Substrat - N° 7

N°7-"Quand il est né je commençais seulement à en profiter", 2007, acrylique sur toile, 162 x 97 cm.

« Nous jouons souvent et volontiers avec l’imagination ; mais l’imagination (en tant que fantasmagorie) joue souvent avec nous et parfois bien avec contretemps… » Emmanuel Kant  dans  "Anthropologie"  (1).

 

N°7- Association d’idée.

Vous imaginez une œuvre en train de se faire.

Le pinceau court sur la surface de la toile, de temps en temps il la délaisse pour se recharger de couleur et reviens à sa caresse. Le geste est précis, vif, ardent, il passe d’un accent indispensable, à une tâche plus ardue, d’un trait il tranche une forme et la distingue d’une immensité informelle. Les couleurs se mélangent entre elles dans le frais sur le support, elles s’étirent et se rangent de façon subtile et sans préméditation. De l’assurance, de la détermination sort des formes identifiables, des figures reconnaissables, des représentations remarquables, des scènes et des images vivantes. Il y a de la valeur dans ce travail où  rayonne une palette aux millions de subtilités signifiantes.

Cà, c’est la partie du texte pour décrire l’aspect plastique de cette peinture intitulée "Quand il est né, je commençais seulement à en profiter", maintenant passons à la description iconographique.

« Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux! » Blaise Pascal (1623-1662) (2).

En fait, cette peinture intitulée "Quand il est né, je commençais seulement à en profiter", associe différentes représentations, différentes idées. Au premier plan un nouveau né nous est présenté, tenu aux chevilles et à la nuque par les doigts gantés de caoutchouc vert que l’on suppose être ceux d’un gynécologue-obstétricien. Derrière cette scène, il y a, à droite, l’érection translucide à l’étiquette rose d’une bouteille d’eau d’Evian et à gauche, une paire de flans au chocolat nappée et arrosée de caramel  liquide. Portée en perspective par deux bonnets retournés de dentelle de verre affriolante; l’ensemble nous est offert, généreusement exposé sur une table couleur cannelle. Plus loin, de profil,  un garçon  qui n’a visiblement pas encore atteint l’âge de raison, est en train d’essayer de boire à la bouteille, du jus d’orange. Ses doigts et sa blouse sont maculés de confiture ou de compote de framboise ou de fraise. Nous distinguons également prés de la bouteille à la peau pulpeuse deux boules de glaces à la vanille ainsi que les restes éventrés d’un gâteau tout mou et rouge.

Au fond est largement ouvert un réfrigérateur dont le contenu reste à explorer : bouteilles de lait, yaourts, boites de crème brûlée et mousse au chocolat…  A l’intérieur, accroché au plafond du meuble, la figure d’un archaïque freezer domine l’action comme interdit, fermé, glacé, congelé…, tandis qu’à droite la porte plastifié de blanc a été barbouillé à pleine main de sirop ou de crème de fruits rouges dégoulinants. Un vrai carnage ! Le petit ogre en question mériterait quand même bien une bonne correction.

Pour la composition des éléments iconographique de cette peinture, Jean-Bernard Pouchous a fait appel à la méthode de l’association libre. Dans ses collections d’images numérisées, l'artiste a pioché quelques représentation, laissant surgir de son esprit ces associations d’images et leurs interrelations en pratiquant divers copier/coller avec Photoshop. C’est quand même plus pratique que ciseaux, cutter, pour découper et aiguille, colle pour assembler tout çà sur du carton, comme il l'a fait pendant des dizaines d’années.

Clef  de voûte du principe de la cure en psychanalyse, l’association d’idées, dite aussi association libre, fait référence à la règle fondamentale qui consiste, pour le patient, à exprimer toutes ses pensées de manière spontanée, sans discrimination d’aucune sorte. Par cette méthode, celui-ci éliminera de sa pensée ses choix volontaires  (constitutifs de la "seconde" censure entre le conscient et le préconscient), révélant de la sorte ses défenses inconscientes, soumises quant à elles à la "première" censure entre le préconscient et l’inconscient. L’association libre repose sur le concept d’association selon lequel une "idée qui vient" renvoie en réalité, toujours, à d’autres éléments. Il s’agit de séries associatives en relation directe avec les traces amnésiques et l’organisation de la mémoire, que Freud a lui-même qualifiée d’ "archivage" et que je nomme mon "disque dur". Il est à noter que ce "jeu" de la mémoire n’a rien d’un caractère aléatoire; bien au contraire, la possibilité d’accès à la conscience, la variabilité du mécanisme de remémoration sont sous la dépendance directe des conflits défensifs propres à chaque individu.

« On ne connaît un objet qu’en agissant sur lui et en le transformant. » Jean William Fritz Piaget dans "Psychologie et épistémologie" (3). Cette peinture est un peu le résultat de recherche ethnographique personnelle et à compte d’auteur, dans cette niche écologique propre à Jean-Bernard Pouchous.

« L’ethnographie est la branche de la discipline qui s’occupe de la collecte méthodique des données sur le terrain. Elle peut utiliser le dessin, la photo, la notation musicale et la collecte d’objets. » Marcel Mauss (1872-1950) (4) Jean-Marie de Gérando (1772-1842) (5).

L’anthropologie dans son étude de l’homme s’intéresse à sa diversité biologique et à sa diversité culturelle d’un point de vue synchronique (contemporain) et diachronique (à travers le temps). Ainsi, cette discipline est formée de quatre parties ou sous-disciplines:

Etude synchronique avec l’archéologie et la paléoanthropologie

Etude diachronique avec l’ethnologie et la bio-anthropologie.

S’il n’y à plus personne à étudier, même pas soi-même, c’est qu’il n’y a plus âme qui vivent. « Les imaginations de l’âme considérées en elles-mêmes ne contiennent aucune erreur ; autrement dit l’âme n’est pas dans l’erreur parce qu’elle imagine ; mais elle est dans l’erreur en tant qu’elle est considérée comme privée d’une idée qui exclut l’existence des choses qu’elle imagine comme lui étant présentes » Spinoza dans  "Éthique", II, prop. XVII, scolie (6).

La porte du réfrigérateur est restée largement ouverte ce qui signifie que les produits alimentaires qui  sont encore stockés sur les étagères intérieures  ne sont plus maintenus à basse température. La chaîne du froid qui les avait amené là est rompue et il y a risque d’intoxication alimentaire. Le comportement compulsif de consommation de nourriture, en grande quantité de cet enfant est signe de boulimie. Les aliments qu’il a choisis sont très caloriques et volontiers sucrés (gâteaux, crèmes, glaces...) Le déroulement de ce type de crise est généralement marqué par un début brutal, avec sensation de malaise, de vide, de grande anxiété et que l’ingestion massive et brutale de nourriture pourra calmer. Ce paroxysme anxieux est souvent accompagné de culpabilité, de perte de contrôle, et de sentiment de détresse face au trouble et à la honte d’avoir cédé à la pulsion. La crise peut durer jusqu’à ce que le malade  ressente de violentes douleurs abdominales, signe que l’estomac  est rempli, et de la fin de la crise. Pour le moment l’enfant est resté complètement indifférent à ce qui se passe au premier plan et semble n’avoir pas remarqué le nouveau né qui nous est présente. Le cordon ombilical vient d’être coupé car l’on distingue encore la pince qui a servi à le clamper. Notre centre d’intérêt se déplace naturellement vers cette nouvelle naissance. Notre regard quitte le petit garçon qui perd ainsi son statut de centre d’intérêt exclusif.  Cette crise de boulimie subite semble alors plus ressembler à une orgie compensatoire, une sorte de système de substitution  pour  intégrer cette nouvelle présence qui le dévore de jalousie. Nous avons envie de lui demander: « Où est ta maman? C’est ton petit frère? Où est ton papa ? »

Nous imaginons ses pensées : « Maman m’aimera-t-elle toujours? »

Pendant ce temps papa travaille.

« La mythologie entrepreneuriale amorce sa décrue à la fin de la décennie quand l’on s’aperçoit du degré de dégradation du tissu social et de l’inefficacité des stratégies mises en oeuvre par l’action publique : le culte de la performance ne garantit plus l’emploi. (...) Nous entrons dans une société de frustrations car l’imaginaire d’ascension sociale persiste dans un contexte qui ne lui est plus favorable, et il n’est guère certain qu’il sera davantage à l’avenir. (...) La rhétorique concurrentielle des années 80 laissait entendre que le premier venu pouvait réussir, celle d’aujourd’hui laisse craindre que tout citoyen puisse sombrer dans la déchéance. (...) L’individualisme de masse a commencé sa carrière en France sous l’emblème de l’aventure entrepreneuriale, il la poursuivrait sous la menace de la dépression nerveuse. (...) L’individu souffrant semble avoir supplanté l’individu conquérant. Pourtant, l’un ne succède pas à l’autre, ils sont deux facettes du gouvernement de soi, suscitées par les styles de relations sociales et les modèles d’action aujourd’hui dominants. » Alain Ehrenberg dans "L’individu incertain" (7).

Jean-Bernard Pouchous - 2008.

N°7-Bibliographie :

N°7-1- Emmanuel Kant, Michel Foucault, Anthropologie du point de vue pragmatique, éd. Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosopghiques, 1994.

N°7-2- Blaise Pascal, Pensées, éd. LGF, coll. Classiques, 2000.

N°7-3- Jean William Fritz Piaget, Psychologie et épistémologie, éd. Denoël, 1970.

N°7-4- Marcel Mauss, L’Ethnographie, éd. Payot, coll. Petite bibliothèque, 2002.

N°7-5- Jean-Luc Chappey, La Société des observateurs de l’homme - 1799-1804 : des anthropologues au temps de Bonaparte, éd. Société des études robespierristes, coll. Bibliothèque d'histoire révolutionnaire, 2002.

N°7-6-Baruch de Spinoza, Éthique, éd. Seuil, coll. Points Essais, 1999.

N°7-7- Alain Ehrenberg, L'individu incertain, éd. Calman-Lévy, 1996.

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