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AÏON - N° 8

N° 08-"TROPEOPHORE", 2021, acrylique sur toile, 180 x 240 cm.

« Tous les dragons de notre vie sont peut-être

Des princesses qui attendent de nous voir beaux

Et courageux. Toutes les choses terrifiantes

Ne sont peut-être que des choses sans secours

Qui attendent que nous les secourions. » Maria Rilke. (1).

 

Hong Kong.

La peinture intitulée "Tropéophore", représente saint Georges terrassant le dragon dans une cour d’immeubles d’habitation à Hong-Kong.

Le combat entre saint Georges et le dragon est un montage de représentations de sculptures : l’une provient d’une sculpture de Georges de Lydda tuant le dragon, un bronze accroché sur un immeuble à un angle de rue à Ostende, au Danemark, et d’un dragon en bronze (vouivre) montant sur la façade de l’hôtel de ville de Munich en Allemagne.

Très impressionné, très jeune, par ​ le  Saint Georges et le dragon (1470) de Paolo Ucello (1397/1475), une huile sur toile (57 x 73 cm.), de la National gallery de Londres (2), Jean-Bernard Pouchous s’était promis de traiter ce thème un jour. Dans l’œuvre médiévale, Georges est à cheval et perce de sa lance la tête du dragon tenu en laisse par une dame à la sortie d’une caverne. « Saint Georges blesse le dragon, et c'est Cléodélinda elle-même, à l'instar de Marthe, qui le conduit en laisse avec sa ceinture » Janetta Rebold Benton (1945/…), historienne d’art américaine (3). C’est comme si la princesse avait apprivoisé le dragon, mais dans l’œuvre de Jean-Bernard Pouchous il n’y à pas de princesse, c’est le "Tropaïphoros", Georges le super victorieux, un combat intérieur, ou le héros a rendez-vous avec lui-même qui intéresse l’artiste.

Biensûr à la bataille d’Azincourt (1415), remportée par Henry V (1386/1422) et immortalisée par William Shakespeare (1564/1616),  la légende veut qu’il ait donné la victoire aux archers Anglais. « Follow your spirit, and upon this charge Cry ' God for Harry, England, and Saint George ! » Shakespeare, Henry V, Acte III. La popularité de saint Georges était telle en Angleterre depuis l'époque des Croisades, que les Anglais lui ont attribué la nationalité anglaise. C’est Edouard III (1312/1377) qui décide en 1344 que saint George (sans « s ») sera le patron de l’Angleterre. Et en 1348, il fonde  l’"Ordre de la Jarretière", sous la protection de saint Georges, aujourd’hui encore la plus haute distinction britannique, dont les membres sont nommés par la reine seule. La croix de saint Georges  est au centre de l’Union Jack. C’est celle que portaient les Croisés.

« Georges est un pluriel en langue française, et la dernière lettre, en forme de serpent, n’est pas là par hasard. » Thierry Roisin.

Mais en fait, Georges de Lydda (aux environs 275/280 /23 avril 303), appelé Saint Georges par les chrétiens, est un martyr du IVe siècle. Il est principalement représenté en chevalier qui terrasse un dragon et fait ainsi figure d'allégorie de la victoire de la foi sur le démon ou plus largement du bien sur le mal. La Légende de Saint Georges (légende au sens de tradition) est mentionnée vers 1265 ou 1266 sous la plume de l’archevêque dominicain de Gênes, Jacques de Voragine (1228/1298), dans son célèbre ouvrage intitulé La Légende dorée (4). Georges naît en Cappadoce au centre de l'Anatolie, dans une famille chrétienne. Militaire, il devient officier dans l’armée romaine ; il est élevé par l'empereur Dioclécien (244-312) aux premiers grades de l'armée. Un jour en Libye, il passe, monté sur son cheval blanc, à Silène. La cité est alors terrorisée par un redoutable dragon qui dévore tous les animaux de la contrée et exige des habitants un tribut quotidien de deux jeunes gens. Georges arrive le jour où le nom de la fille du roi a été tiré au sort, juste  au moment où celle-ci va être victime du monstre. Georges engage avec le dragon un combat acharné ; avec l'aide du Christ, et après un signe de croix, il le transperce de sa lance. La princesse est délivrée et le dragon la suit comme un chien fidèle jusqu'à la cité. Les habitants de la ville ayant accepté de se convertir au christianisme et de recevoir le baptême, Georges tue le dragon d'un coup de cimeterre car il les effrayait toujours, puis le cadavre de la bête est traîné hors des murs de la ville tiré par quatre bœufs. Après la publication des édits de Dioclétien contre les Chrétiens, Georges est emprisonné. Sa foi ne pouvant être ébranlée, il y subit un martyre effroyable : livré à de nombreux supplices, pelé vivant, ébouillanté, supplicié de la roue et écartelé. Il survit miraculeusement et finit par être décapité un 23 avril.

Mais qu’est-ce que c’est ce dragon ?

Il vole dans les airs, il nage dans l’eau, il souffle le feu, il court, glisse, rampe sur la terre. Muni d’écailles, d’ailes, de griffes, de pattes et surtout d’une langue et de dents, il est partout et toute l’animalité est en lui. Le dragon ne ressemble à rien et imite tout : le chien, l’aigle, le lion, le taureau, le chacal et le serpent. Il est vorace, cruel, sans pitié aucune ;  il dévore tout, sa faim est sans limites. Il exprime sans retenue sa cruauté et montre sans pudeur l’intérieur de sa bouche : ses crocs, sa langue fourchue. C’est un ravisseur, un tueur, un terroriste. Il nous fascine.

Des ossements découverts à Wucheng (Shandong) sont attribués à un dragon par l'historien "Chang Qu" (vers 300 av. J.-C) ce qui accréditerait l'hypothèse selon laquelle les fondateurs des premières civilisations auraient trouvé des squelettes de dinosaures ou de grands reptiles disparus depuis le Crétacé. Ce qui devait stupéfier nos ancêtres, en comparaison au reste des grands prédateurs qu’ils connaissaient par la chasse et qu’ils vénéraient en bons animistes.

Créature légendaire le plus souvent représentée comme une sorte de gigantesque reptile, ailes déployées et pattes armées de griffes. Dans de nombreuses mythologies à travers le monde, on retrouve des créatures reptiliennes possédant des caractéristiques plus ou moins similaires, désignées comme dragons. Monstre symbolique à tout faire, indomptable, incontrôlable, imprévisible, il rampe sur et dans la terre, vole dans les airs, nage dans les eaux et crache du feu.

On dit en Chine que « quand les dragons entendent le tonnerre, ils se lèvent ; les nuages arrivent et, s’étant tous formés, les dragons montent et circulent ainsi dans le ciel ».

Le dragon oriental est différent du dragon européen. Selon le philosophe Wang Fu (78/163), vivant sous la dynastie Han, il emprunte des traits à pas moins de neuf animaux : il a une tête de chameau, des yeux de démon, des oreilles de bovidé, les bois d’un cervidé, un cou de serpent. De plus, ses pattes de tigre se terminent par des serres d’aigle. Son ventre est celui d'un mollusque et le reste de son corps est couvert de 117 écailles de carpe, dont 81 sont mâles (yang) et 36 femelles (yin). Le dragon chinois n'a ordinairement pas d'ailes, ce qui ne l'empêche pas de voler, grâce à la crête surplombant son crâne. Mais sa principale source de pouvoir réside dans une grosse perle qu'il cache sous les replis de son menton ou dans sa gorge. Cette perle est souvent synonyme de bonheur, d'abondance, de sagesse ou de connaissance pour celui qui la possède. Il représente les forces de la nature et dès lors doit être considéré avec précaution car, comme la nature, le dragon était à la fois bénéfique et dangereux. Le dragon oriental est intimement lié au climat et à l'eau. Il a d'ailleurs tendance à vivre dans ou à proximité de grandes étendues d’eau : fleuves tumultueux, au fond des océans ou au cœur des gros nuages.

YUAN-QI

Le postmodernisme pour Jean-Bernard Pouchous est le paroxysme de la décosmisation moderne, perte des repères qui faisaient aller ensemble les êtres et les choses d’un milieu. Ce mouvement a conduit dans les sciences sociales au métabasisme, idéologie du « on en a fini avec la base ». En architecture, le partout-la-chose du mouvement moderne pérorait en n’importe-quoi-n’importe-où,  en espace foutoir : après la table rase du moderne, le postmodern a donné le coup de pied de l’âne à la composition urbaine. Ce résumé musclé est tiré du Glossaire de mésologie d’Augustin Berque (1942/…) géographe, orientaliste et philosophe français (5),

En langage mésologique par exemple la "cosmophanie" serait « l’apparaître d’un milieu » : le  paysage est une forme historique de la cosmophanie, forme advenue au IVe. siècle en Chine et à la à la Renaissance en Europe. Le mot "co-suscitation" proviendrait d’une traduction du chinois yuan-qi, lui-même traduisant le sanskrit pratitya samutpada, coproduction conditionnée, interdépendance) ; synonyme de concrescence : relevant de la ternarité, la co-suscitation des choses est plus complexe  que la causalité mécanique des objets. Le mot "écoumène" vient du grec (l’habitée) il nomme La demeure humaine, ensemble des milieux humains. Relation éco-techno-symbolique de l’humanité avec la Terre. NB : 1. le genre féminin distingue cette acception mésologique de l’acception géographique  traditionnelle d’écoumène. la partie habitée de la Terre, renjing en chinois classique (opposé à xianjing, l’érème) ; 2. L’écoumène ne se limite pas au topos de la planète Sol III : c’est la chora comprenant tout ce qui existe pour l’humanité. Le verbe "ek-sister" (exister) tant à lui serait à comprendre comme Pour tout être et toute chose, sortir de la gangue de l’identité à soi, de l’en-soi objectal, pour se déployer selon un certain en-tant-que ; synonyme de trajecter. L’"érème" (du grec désert) reste la partie inhabitée de la Terre, opposée à écoumène au sens géographique traditionnel ; synonyme de wilderness en anglais et de xianjing en chinois classique : l’érémitisme de l’ermite consiste à fuir le monde four aller s’installer dans l’érème.   Le paysage serait donc un genre de cosmophanie apparu dans la classe de loisir (Veblen) au IVe siècle en Chine, à la Renaissance en Europe, et répandu depuis : le paysage ne se réduit ni aune simple projection subjective, ni a un simple objet là-dehors, il est trajectif.

Plusieurs principes peuvent nous guider en mésologie inspirés de certains peintres et poètes notamment chinois comme : Le principe de Cézanne, Paul (1839/1906), peintre français précurseur moderniste du cubisme, qui serait lui-même synonyme du Principe de Xie Lingyun. Le principe de Xie Lingyun par allusion au premier poète paysager chinois (385/433), serait le principe selon lequel seuls les happy few de la classe de loisir (Veblen), à la différence des ploucs, savent voir l’environnement en tant que paysage. "Le principe de Zong Bing" serait par allusion au peintre chinois Zong Bing (375/443) qui écrivit dans l’introduction à la peinture de paysage « Zhi yu shanshui, zhi you er qu ling » (Quant au paysage, tout en ayant substance, il tend vers l’esprit), principe selon lequel le paysage ne se limite pas à la substance de l’environnement, et qu’il la dépasse dans une mouvance invisible : principe de Zong Bing est une préfiguration à la trajectivité des choses.

Ce Glossaire de mésologie précise que la "subjectité" (en anglais subjecthood, en japonais shutaisei) serait le fait d’être un sujet, pas un objet, et d’être donc capable de trajecter l’environnement (S*) selon ses propres prédicats (P*) : Les milieux supposent la subjectité du vivant, qui n’est jamais déterminé par une simple mécanique de l’environnement. Le verbe "trajecter" signifierait accomplir une trajection. Synonyma d’ek-sister et de faire exister : la touffe d’herbe S* trajecte en tait qu’aliment P* jour la vache I*. Cézanne trajecte la Sainte-Victoire en tant que paysage, mais pas les ploucs de la région, qui selon lui « ne l’ont jamais vue », i.e. jamais vue en tant que paysage, à la différence des happy few dont il fait partie, lui (et nous après lui, en chaîne trajective*). La "trajection" représenterait donc 1. le va-et-vient de la réalité entre les deux pôles théoriques du subjectif et de l’objectif : la réalité ne relève ni seulement de l’objet, ni seulement du sujet ; relevant de la trajection des deux, elle est trajective. Et 2. Assomption de S* en tant que* P*, synonyme d’ek-sistence : au IVe siècle, en Chine, il y a eu trajection des eaux de la montagne (shanshui) en tant que paysage (shanshui).

*S représente le sujet* logique, la substance* sous-jacente où s’ancre lgS*, et qui est aussi l’objet* physique : le rapport sujet/ prédicat* en logique correspond au rapport substance/accident en métaphysique. V. Ontologique. *P Initiale correspondant à Prédicat* : dans le rapport S/P* (S en tant que P), P est en principe subordonné à S* par la conjonction de subordination en tant que*, mais en pratique, l’un ne va pas sans l’outre. *I représente l’interprète dans la ternarité S-I-P.

Dans l’œuvre Tropéophore (porteur de victoire) de Jean-Bernard Pouchous le dragon est bien occidental, bien qu’il soit tué par George à Hong Kong. D'un autre côté, il ne faut pas oublier que, en dehors de son rôle éventuel dans les rites et les mythes d'initiation héroïque, le dragon est chargé dans beaucoup d'autres traditions (austroasiatique, indienne, africaine, etc.) d'un symbolisme cosmologique : il symbolise l'involution, la modalité pré-formelle de l'Univers, l' « Un » non fragmenté d'avant la Création. C'est pour cela que serpents et dragons sont presque partout identifiés aux « maîtres des lieux », aux « autochtones », contre lesquels doivent combattre les nouveaux venus, les « conquérants », ceux qui doivent « former » (c'est-à-dire créer) les territoires occupés (6).

Si, dans la mythologie chrétienne, saint Georges lutte « héroïquement » contre le dragon et le tue, d'autres saints parviennent au même résultat sans combat comme dans les légendes françaises de saint Samson, saint Julien, sainte Marguerite, saint Bié, etc. (7).

Pour René Girard philosophe français (1923/2015) la victoire ne fait qu'accélérer l'évolution vers le pire, en somme. La poursuite de l'échec se fait toujours plus experte et savante, sans jamais se comprendre elle-même comme poursuite de l'échec et c’est pourquoi, rappelle-t-il, que Claude Lévi-Strauss (1908/2009) ethnologue français, avait raison d’affirmer qu’une démarche scientifique, en anthropologie, ne pouvait pas tenir compte du désir.

Jean-Michel Oughourlian (1940/…) (J.-M. O.)  neuropsychiatre franco-libanais,  échange avec René Girard (R. G.) dans Des choses cachées depuis la fondation du monde (8) :

J.-M. O. : Qu'il réussisse ou qu'il échoue, en somme, le sujet va toujours vers l'échec. Au lieu de conclure que le désir lui-même est une impasse, il trouve toujours le moyen de conclure en sa faveur, de ménager au désir une dernière chance. Il est toujours prêt à condamner les objets déjà possédés, les désirs passés, les idoles de la veille, dès que se présente une nouvelle idole, ou un nouvel objet. C'est le processus de la mode aussi bien que du désir. Le sujet de la mode est toujours prêt à renoncer à tout, et d'abord à lui-même, pour ne pas renoncer à la mode, pour conserver au désir un avenir.

Tant qu'on n'a pas triomphé de tous les obstacles, une possibilité demeure, toujours plus infime assurément mais jamais nulle, que derrière le dernier rempart, défendu par le dernier dragon, le trésor partout cherché soit enfin là, qui nous attend.

R. G. : II y a une logique du désir et c'est une logique du pari. À partir d'un certain degré de malchance, le joueur malheureux ne renonce pas, mais il mise des sommes toujours plus fortes sur des probabilités toujours plus faibles. Le sujet finira toujours par dénicher l'obstacle insurmontable, qui ne sera peut-être que la vaste indifférence du monde, et il se brisera sur elle.

J.-M. O. : Au fond, on parle toujours du pari de Pascal (1623/1662) comme s'il n'y avait qu'un seul pari. Ce que Pascal lui-même voit dans sa théorie du divertissement, c'est ce que vous êtes en train de dire. Le désir, lui aussi, est un pari, mais un pari où l’on ne peut jamais gagner. Parier pour Dieu, c’est parier pour un autre Dieu que le dieu du désir.

Tu dois! 

Songeons au grand dragon « étincelant d'or, bête écailleuse et sur chacune des écailles, en lettres d’or, brille "Tu dois! " » (Friedrich Nietzsche,  1883/1885, p. 39). « Tu dois » aux deux sens du terme.

Nietzsche est le philosophe de la volonté de puissance, conçue comme création et plénitude vitale, comme affirmation éperdue de la vie. Ce qui est essentiel, c’est notre monde en tant qu’il est joie et volonté de puissance. Quant à l’illusion des arrières-mondes, Nietzsche la traque sous toutes ses formes. Bien entendu, la souffrance accompagne la culpabilité, et au premier rang de ses manifestations se trouve le travail sans plaisir, simple culture du sentiment de culpabilité; la division du travail est une organisation de la culpabilité partagée. Dans le temps cumulatif, le temps du capitalisme, les comptes ne sont jamais soldés, et l'excédent économique ne peut jamais être la preuve de l'expiation, puisque cet excédent est condamné à croître. Mais en accumulant des biens, l'individu charge sur ses épaules sa propre culpabilité, et la vision de ce fardeau est sans doute agréable à l'œil de Dieu : dans le protestantisme, l'accumulation des biens peut être le signe extérieur de la grâce. C'est pourquoi, sur les marchés, circulent de la souffrance et de la culpabilité (9).

Roger William Brown (1925/1997) psychologue américain, disait que la psychologie sociale du don est féminine, celle de l'échange marchand (où l'on échange de la propriété) est masculine. Ainsi le don détruirait la culpabilité au moyen de l’identification avec la mère, tandis que la possession, identifiée au père, transforme la culpabilité en agression. Celle-ci se manifeste par la manipulation agressive de la nature par les inventions techniques. La substitution des mythologies patriarcales (destructrices) aux mythologies matriarcales (protectrices) est particulièrement bien documentée par Robert Graves dans Les Mythes grecs (10).

Pour le psychanalyste, la névrose est souvent définie comme une dette impayable. L'existence d'une dette originaire, qui est la conscience coupable, qui empêche l'homme de se libérer du passé, et fait que l'homme du présent paye des intérêts pour le passé, marque une culpabilité qui relève d'une dette ne pouvant jamais être acquittée. Le christianisme perpétue cette culpabilité : « L'avènement du Dieu chrétien, comme le plus grand des dieux jusqu'ici atteints, a fait également naître pour cette raison le plus grand degré de sentiment de culpabilité sur terres » Il oblige et culpabilise, il est « l'expédient paradoxal et affreux, qui a offert à l'humanité martyre un soulagement temporaire, ce coup de génie du christianisme : Dieu lui-même se sacrifiant pour la dette de l'homme, Dieu se payant sur lui-même, Dieu comme le seul qui puisse racheter à l'homme ce que l'homme même ne peut plus racheter - le créancier se sacrifiant pour son débiteur, par amour (le croira-t-on?) -, par amour pour son débiteur » (11). C'est le fondement de l'homme éternellement coupable.

En 1994, Jean-Bernard Pouchous a fait escale à Hong Kong pour aller en Papouasie Nouvelle-Guinée. Hong Kong est située sur la rive orientale du delta de la "Rivière des Perles", la mégapole occupe une péninsule ainsi que quelques îles dans la mer de Chine. L’atterrissage l’avait beaucoup impressionné. L’aéroport international "Kai Tak" (ancien aéroport international de Hong Kong, jusqu'en 1998), est situé à proximité du centre-ville, dans la baie. Depuis le hublot il voyait l’approche de l’avion vers le nord, une cuvette entourée de montagnes. Il n'y avait qu'une piste à Kai Tak, l’atterrissage fut spectaculaire, l'avion survolait à très basse altitude les zones très peuplées de "Kowloon", à quelques mètres au-dessus d’un entassement d’immeubles invraisemblable dont on distinguait tous les détails de construction. L’escale durait 48 heures et Jean-Bernard Pouchous en a profité pour parcourir le "Mong Kok",  quartier commercial très animé qui était déjà réputé pour être la zone la plus densément peuplée de toute la planète et le reste encore en 2018 avec plus de 130.000 habitants par kilomètre carré selon le Livre Guinness des records. Puis il a visité le Musée d’Art de Hong Kong et le Museum of history dans le quartier des « neuf dragons » qui est une partie de Hong Kong située sur le continent, au nord de l’île et au sud de la partie continentale des Nouveaux territoires. La rétrocession de Hong Kong à la Chine a eu lieu le 1er juillet 1997, à la fin du bail de 99 ans relatif aux « nouveaux territoires » établi entre l'Empire du Grand Qing et l'Empire britannique à la suite de la défaite de l'Empire Qing dans la guerre sino-japonaise (1894/1895).

En 1994, Hong Kong « port aux parfums » en cantonnais Yale, était alors encore sous mandat britannique et le style de vie à la « british » s’en ressentait beaucoup. A l’époque Jean-Bernard Pouchous aurait bien aimé pouvoir aller à Canton ou Guangzhou capitale de  la province du Guangdong, notamment dans l’île de Shamian, qui entre la moitié du XIXe. siècle et celle du XXe. siècle une concession franco-britannique, mais c’était en Chine Populaire. Troisième ville plus peuplée du pays derrière Shanghai et Pékin, elle forme avec les villes voisines de Shenzhen, Foshan, Dongguan, Zhongshan et Jiangmen, Hong Kong et Macao, la mégalopole chinoise du delta de la Rivière des Perles, grande agglomération de 65 millions d'habitants, soit l'équivalent de la population française en 2011. Ce sera pour une autre fois.

ABSTRAIT (adj.) Détaché de son milieu : la géométrie est abstraite, l’architecture, qui jusque-là était concrète, se l’est donnée pour guide avec le mouvement moderne. 

Les immeubles à Hong-Kong sont typiques de ce début de XXIe. Siècle. On ne peut en effet s’empêcher d’être étonné par ces impressionnants blocs d’habitation serrés les uns contre les autres, ressemblant à un jeu de "tétromino" ou de "Lego" coloré qui logent des millions de personnes. Dans une cour ou un environnement fermé ou peu aéré, par temps chaud, les climatiseurs individuels accrochés à chaque appartement, provoque une bulle de chaleur auto-entretenue invisible, contribuant au phénomène d’Îlot de chaleur urbain. En 2017, selon l’Agence Internationale de l'Energie (AIE), environ 1,6 milliard de climatiseurs fonctionnaient dans le monde, dont 50% environ aux Etats-Unis et en Chine. Avec le réchauffement climatique et le développement économique, le parc des climatiseurs augmente : environ 135 millions d'unités vendus par an en 2017 (trois fois plus qu'en 1990), dont 53 millions d'unités en Chine alors qu'en Inde 4 % seulement des foyers sont équipés. Près de 3 900 TWh d'énergie ont servi à rafraichir des logements et bureaux, à la réfrigération d’aliments et de médicaments, etc. Et ce n’est pas fini…

La surpopulation c’est impressionnant. C’est peut-être pour ça qu’il n’y a pas de princesse pour tenir le dragon en laisse dans la peinture de Jean-Bernard Pouchous, la femme hongkongaise n’est plus l’avenir de l’homme, elle est peut-être trop occupée comme la femme de George  à chercher la jarretière ou la laisse. Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions.

« Un et un peuvent rester côte à côte durant la perpétuité des temps, ils ne seront jamais deux si une intelligence n’opère pas l’acte de les ajouter. L’intelligence attentive a seule la vertu d’opérer les connexions, et dès que l’attention se détend les connexions se dissolvent. » Simone Weil (1909/1943) (12).

En réalité, il se passera la même chose qu’avec le développement des moyens de transport, qui ne diminue pas le temps passé à se déplacer mais l’augmente. Plus on connaîtra de facteurs influant sur la longévité, plus la vie sera occupée par le souci de la préserver, de la faire durer en gérant au mieux son « capital santé ».

Friedrich Nietzsche, parlant du dernier homme écrivait: « On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé (13) » La vie sera longue et stupide.

L’ennui ne fera que croître. « L’ennui n’est pas une quantité négligeable, une « simple humeur », une disposition intime, mais bien le statut ontologique d’une humanité qui a entièrement subordonné sa vie au quotidien et à son impersonnalité (14). » La multiplication des « fêtes » remédie moins au mal qu’elle ne le trahit, à l’ennui des heures ouvrables succède l’ennui du loisir et de l’amusement obligatoires.

« Dans le dispositif quel devint mon ennui !

Je demeurai longtemps errant dans Tech-City. » Olivier Rey, essayiste (1964/…) (15). 

Comment conserver et créer. Dans l'un et l'autre cas, la vertu consiste à rester dans l'ordre, à demeurer à sa place, à ne pas excéder son lot, à se tenir dans le permis, à ne pas disposer du défendu. Ce faisant, on maintient du même coup et pour ce qui dépend de soi, l'univers dans son ordre. C'est la fonction des interdits, dans les prescriptions rituelles chinois traditionnelles confucéennes : « Les rites, dit le Li-Ki, préviennent le désordre, comme les digues les inondations. »

Mais le temps use les digues, le fonctionnement d'un mécanisme use et encrasse les rouages. L'homme vieillit et meurt, rénové, il est vrai, dans sa descendance. La nature, à l'approche de l'hiver, perd sa fécondité et semble dépérir. Il faut recréer le monde, rajeunir le système. Les prohibitions peuvent seulement empêcher sa fin accidentelle. Elles sont incapables de le préserver de sa ruine inévitable, de sa belle mort. Elles ralentissent sa décrépitude sans pouvoir l'arrêter. Vient le moment où une refonte est nécessaire. Il faut qu'un acte positif assure à l'ordre une stabilité nouvelle. On a besoin qu'un simulacre de création remette à neuf la nature et la société. C'est à quoi pourvoit la fête la « teuf » free party (16).

La peinture intitulée "Tropeophore", représente un saint Georges en bronze terrassant un dragon en bronze dans une cour d’immeubles d’habitation de Hong-Kong en béton, métal et verre.

L'Asie hellénistique associait les images des vainqueurs et de "Nikè" tropéophore  (porteur de victoire ). Niké est un attribut de certains dieux, dit Nicéphores (Nikêphoros - Victorieux), Sur les monuments figurés, ces dieux portent une statuette de la Victoire, qu’ils semblent tendre comme un don. L'art traduit ainsi cette idée qu'ils apportent avec eux la victoire et qu'elle n'existe pas sans eux.

« L'Etat n'entendant goutte aux  choses  d'art et ne commençant à  s’apercevoir valeur d'un homme que lorsqu’on le coule en bronze, l'Etat continuera a protéger ferme - a tort et à travers - et finira par avoir des peintres, des   sculpteurs,   des graveurs, des      architectes, payer au mois,  qui   porteront un uniforme, signeront le matin une  feuille    de    présence et qui - de 10 à 4 - badigeonneront du sublime suivant l'idéal et la formule académique. Ce genre de distraction sera un peu onéreux pour le contribuable, mais il présentera l'avantage d'être absolument inoffensif, car personne ne s'inquiétera des productions officielles. » Franz Jourdain, Les peintres-graveurs chez Durand-Ruel, la Revue indépendante, janvier-février 1889.

ACOSME (n. f.) Manque de cosmicité, résultant de la décosmisation provoquée par le POMC : en architecture et en urbanisme, l’acosmie se manifeste par l’espace foutoir et le  tue-paysage.

LA difficulté est de résoudre ce problème et comment ? Il y a une contradiction insoluble dans ce raisonnement comme une ultime tentative pour surmonter l’aporie. La question de la « donnée-en-image » de la vie invisible. Dans toutes ces situations, la vue, y compris dans ses modes déclinants et crépusculaires, demeure l’ultime critère. Dès que quelque chose est vu, « il est évident qu’un objet intentionnel est là » nous dit le philosophe Edmund Husserl  (1859/1938), dans Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps (1). Tel est notamment le cas de l’image, le seul qui nous intéresse ici pour autant que la donnée-en-image doit fournir son substrat à la vision des essences. En toute image, en effet, quelque chose est présent à l’esprit. « Lorsque dans l’imagination j’accomplis une fiction, de sorte que par exemple le chevalier saint Georges m’apparaît comme tuant un dragon – n’est-il pas évident que ce phénomène d’imagination représente précisément saint Georges (…) ? » (1). Que la donnée-en-image puisse servir de support à l’intuition d’une essence, la démonstration en est faite à propos de la couleur. Si je considère une couleur imaginée et non plus sentie, elle est encore quelque chose devant mon regard. Suffit alors de la « réduire », de ne plus la considérer comme la couleur-en-image d’un buvard ou d’une robe, mais en elle-même, pour se trouver en présence du phénomène « couleur-en-image », et de prendre celle-ci telle qu’elle m’apparaît « Elle apparaît, et elle apparaît en personne (« sie erscheint und erscheint selbst ») […] ; en la voyant en personne telle qu’elle est représentée, je peux porter des jugements sur elle, sur les moments qui la constituent et sur leurs relations » (17). Si nous adoptons la démarche d’Husserl, qui est celle d'appréhender la réalité telle qu'elle se donne, à travers l’expérience vécue, des contenus de conscience et des structures des faits nous adhérons à la phénoménologie, à ce qui apparaît. L’Évangile et l’Apocalypse du 1er. siècle ayant été écrit dans l’île de Patmos par Jean l’apôtre « le disciple que Jésus aimait » il apparaît que Georges de Lydda (saint Georges) martyr du IVe, patron des chevalerie chrétienne, en avait surement pris connaissance. « Ainsi l’Archi-intelligibilité johannique est-elle impliquée partout où il y a vie, elle s’étend jusqu’à ces êtres de chair que nous sommes, prenant dans sa Parousie incandescente nos envies dérisoires et nos blessures cachées, comme elle le faisait pour les plaies du Christ en Croix. D’autant plus pure, simple, dépouillée de tout, réduite à elle-même, à son corps phénoménologique de chair, advient en nous chacune de nos souffrances, d’autant plus fortement s’éprouve en nous la puissance sans limites qui la donne à elle-même. Et quand cette souffrance a atteint son point limite dans le désespoir, l’Œil de Dieu nous regarde. C’est l’ivresse sans limites de la vie, l’Archi-jouissance de son amour éternel en son Verbe, son Esprit qui nous submerge. Tout ce qui est abaissé sera relevé. Heureux ceux qui souffrent, qui n’ont plus rien d’autre peut-être que leur chair. L’Archi-gnose est la gnose des simples. » Michel Henry, Incarnation - Une philosophie de la chair (18).

Jean-Bernard Pouchous, 2021

08-Bibliographie :

08-1- Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, éd. Grasset, 1937.

08-2- Annarita Paolieri, Paolo Uccello, Domenico Veneziano, Andrea del Castagno, éd. Scala, Florence, 1991.

08-3- Janetta Rebold Benton, trad. Michèle Veubret, Bestiaire médiéval, Les animaux dans l’art du Moyen Age, éd. Abbevill press, 1992.

08-4- Jacques de Voragine, La Légende dorée, coll. Bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard, 2004.

08-5- Augustin Berque, Glossaire de mésologie, éd. Eoliennes, 2018.

08-6- Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, éd. Gallimard, coll. Folio essais, 1969.

08-7- Paul Sébillot, Le Folklore de la France, éd. Imago, 1993.

08-8- René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde - Recherches avec Jean-Michel Oughourlian et Guy Lefort – éd. Livre de Poche, biblio essais, 2007.

08-9- Bruno Bettelheim, trad. Claude Monod, Les Blessures symboliques, éd. Gallimard, 1977.

08-10- Robert Graves, Les Mythes grecs, éd. Fayard, 1979

08-11- Gilles Dostaler, Bernard Maris, Capitalisme et pulsion de mort, éd. Fayard/Pluriel, 2010.

08-12- Simone Weil, Commentaires de textes pythagoriciens in Œuvres, Gallimard, 1999.

08-13- Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, éd. Le livre de poche, 1972.

08-14- Jan Patocka, trad. Erika Abrams, Essais hérétiques, éd. Verdier, 2007.

08-15- Olivier Rey, Itinéraire de l’égarement – Du rôle de science dans l’absurdité contemporaine, éd. Seuil, 2003.

08-16- Caillois, L’homme et le sacré, éd. Gallimard, coll. Folio Essais, 1989.

10-17- Edmund Husserl, trad. Henri Dussort, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, éd. PUF, coll. Epiméthée, 1964.

10-18- Michel Henry, Incarnation - Une philosophie de la chair, éd. PUF, coll. Quadrige grands textes, 2004..

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