top of page

Dingbat - N° 5

N°5-"Extrapolation paradoxale",  2015, acrylique sur toile, 195 x 160 cm.

« Quand nous croyons nous extirper de la nature, nous lui obéissons ; quand nous imaginons nous en émanciper, nous nous y soumettons ; quand nous pensons la laisser derrière nous, nous nous plions à son ordre. Jamais autant que lorsque nous croyons nous affranchir nous ne signifions mieux notre subordination. Nous ne sommes que ce que la nature veut que nous soyons. » Michel Onfray (1).

 

N°5 - Sniper.

Cette peinture intitulée "Extrapolation paradoxale" représente une lionne en train de saigner à mort un jeune gnou qu’elle vient d’abattre.

Au second plan, sur un monticule de paille est allongée une jeune femme aux longs cheveux blonds qui nous tourne le dos. Vêtue d’une robe sans manche blanche elle agite ses pieds nus au dessus de ses fesses. Son attitude, semble indiquer qu’elle téléphone avec un portable ou bien se tient la tête de la main droite comme pour réfléchir tout en regardant au loin les rangées de balcons identiques d’une barre d’immeuble

Au dessus d’elle une grande chouette hulotte ralenti son vol toutes ailes déployés pour attraper de ses serres une médaille argentée et son ruban rouge qui tombe dans l’espace au centre du tableau. Dans son élan elle entraîne une banderole tricolore bleu-blanc-rouge.

Sur une botte de paille à gauche dans le prolongement du corps de la blonde est posé un fusil à lunette. Dans la paille à droite, deux grenades de marques différentes attendent d’être dégoupillées et à gauche est plus ou moins dissimulée une poterie grecque antique représentant une chouette.

L’immeuble au fond, nous bouche la vue, sa façade est bleue coupée de six balcons en ciment brut et rambardes métalliques où sèchent étendues à tous les étages des serviettes de plage de toutes les couleurs. Nous sommes l’été en bordure de littoral, d’une mer qui nous restera à jamais inconnue.

Il n’y a personne, pas âme qui vive.

Que c’est-t-il passé ?

La médaille est une Croix de chevalier de la légion d’honneur, le rapace l’attrapera-t-il avant qu’elle ne tombe en plein milieu de la scène de massacre où le fauve vampirise sa victime avant de la dévorer ?

Si on regarde bien la façade l’immeuble, nous constaterons que l’épaisseur des barres de chaque balcon est peinte d’une suite de nombre, numérotée comme le nombre Pi 3,141592653589793…… énumération sans fin qui représente le rapport constant de la circonférence d’un cercle à son diamètre dans un plan euclidien ou le rapport de la superficie d’un cercle au carré de son rayon.

La jeune femme est peut-être un "sniper", tireur d’élite chargé de tuer à distance cherchant une nouvelle cible. Les grenades sont peut-être là en cas de problème comme une ultime défense à portée de main dans un milieu pourtant particulièrement inflammable qui pourrait s’embraser à la moindre étincelle comme un feu de paille ou un feu de brousse.

Comme Friedrich Nietzsche peut dire du monde qu’il est Volonté de puissance, dès lors qu’il a justifié que l’homme, en tant qu’organisme, est Volonté de puissance (2),  Michel Onfray (1959-…) peut écrire et penser le monde comme volonté et comme prédation quand il écrit : « (…) les hommes obéissent à leurs tropismes et vivent pour se reproduire et mourir, (…) les hommes dévorent la chair pour se nourrir, comme les animaux carnassiers, nos doubles ; (…) les hommes le défendent pareillement, avec bec et ongles, griffes et crocs dont ils s'inspirent pour faire des armes, comme les bêtes, leurs semblables ; les hommes se croient libres, mais ils obéissent à la détermination animale des mammifères. » (…) « Dans la guerre, y compris dans la formule hypertechnologique de notre modernité, les hommes montrent qu'ils demeurent des bêtes et se comportent comme elles dans les logiques de défense, d'agression, de construction et de protection des frontières, dans celles qui concernent les marquages du territoire que les animaux effectuent avec urine, fèces et glandes aux effluves très puissants. » (…) « Car la vie suppose la mort ; la survie, la mort donnée pour éviter d'avoir à la subir. (…) Le sexe, le sang, la mort : aucun animal n'y échappe ; les humains non plus, bien évidemment, eux encore moins que d'autres, même si certains d'entre eux montrent qu'ils le peuvent en indexant plus leur vie sur Eros que sur Thanatos - la tâche de toute philosophie digne de ce nom. »

« Les serres de l'aigle, les griffes du lion, les crocs du loup, les ergots du vautour, le bec des bois du cerf, les ramures de l'élan, les cornes du rhinocéros, la défense de l'éléphant, les dents du requin, les crochets du lucane, le dard du scorpion, l'aiguillon de la guêpe permettent d'attaquer ; les piquants du porc-épic, la carapace du tatou, les épines de l'épinoche, de se défendre ; les pigments du caméléon et l'encre de la seiche, de se dissimuler ou de fuir - autant d'opérations communes au territoire des animaux et aux champs de bataille des humains. » (1). 

Les gnous sont une espèce de grosse antilope qui vivent en troupeau et migrent à la recherche de pâturage avec zèbres, gazelles et élands, qui sont tous la proie des lions, des hyènes, des lycaons, des guépards, des crocodiles et des humains. Leur viande est très appréciée des peuples autochtones d’Afrique du Sud, du Kenya et de Tanzanie.

Le lion est un animal grégaire, qui vit en groupes familiaux composés de femelles apparentées entre elles, de mâles non apparentés aux femelles et de leur progéniture.  Le groupe possède un territoire qu’ils délimitent par leurs selles et leur urine. Les femelles passent leur vie dans leur groupe de naissance et s’y reproduisent et ce sont elles qui chassent en bande organisée. Les jeunes lions restent de 2 à 3 ans dans le groupe et dès leur maturité sexuelle, ils sont chassés par les mâles dominants. Les jeunes mâles chassés du groupe deviennent nomades et formes ensemble une coalition qui ne respecte pas les frontières des territoires pour chasser. Les coalitions de jeunes lions vont inévitablement essayées de prendre la tête d’une troupe en évinçant le mâle dominant. La lutte est généralement sanglante, voir mortelle. Si les jeunes mâles gagnent ils tuent tous les lionceaux de leurs prédécesseurs, ce comportement pousse les femelles à retrouver un œstrus et d’être à nouveau apte à la reproduction malgré que certaines lionnes n’hésitent pas à attaquer le mâle assassin.

Notre jeune prédatrice "sniper" est en embuscade. Le terme est utilisé pour désigné un tireur isolé, embusqué, agissant de son propre chef dans le but de guérilla urbaine menée par des groupes rebelles ou terroristes. Il a été popularisé par la presse lors des guerres de Yougoslavie et plus particulièrement lors du siège de Sarajevo avec la "Sniper Alley" qui désignait l’avenue principale de la capitale de Bosnie-Herzégovine lors du siège par l’Armée de la république serbe de Bosnie (1992/96). Dans le chaos générale, l’unique source d’eau potable de la ville se trouvait sur cette avenue bordée de hauts bâtiments que les tireurs utilisaient pour ajuster toutes personnes qui venaient s’y approvisionner.

La chouette hulotte est un oiseau avec une envergure toutes ailes déployées de presque un mètre. Son vol est silencieux, rapace nocturne la hulotte a des serres puissantes et acérées avec lesquelles elle peut capturer ses proies en plein vol. L’animal ne peut mâcher ses aliments, aussi ceux-ci sont gobés tout rond et recrache ce qu’il n’a pu digérer sous forme de pelotes de réjection. C’est un prédateur nocturne qui chasse à l’affut se fiant à son ouïe très développée pour repérer rats, mulots, chauve-souris, poissons, grenouilles, serpents, petits oiseaux et gros insectes.

L’oiseau chasse avec convoitise une récompense honorifique qui semble pourtant bien hors de portée. La "Légion d’honneur" est plus haute décoration honorifique française, elle est décernée par l’ordre national de la légion d’honneur, institution créée par Napoléon Bonaparte en 1802. Le président de république en est le grand maître. Elle récompense les mérites éminents militaires ou civils rendus à la nation et sa devise est « honneur et patrie ». « Bleu, blanc rouge » sont les couleurs du drapeau français depuis la révolution et par extension, ce nom et ces couleurs sont repris pour faire référence aux valeurs de la patrie. Le pavillon tricolore daterait de 1794 et aurait été dessiné par l’artiste Jacques-Louis David (1748-1825) à la demande de la Convention mais il pourrait aussi avoir une origine plus ancienne remontant aux trois couleurs de la liberté (1789), le bleu et le rouge pour les couleurs de Paris qui entourent le blanc de la royauté.

Jetée sur la paille, la poterie Aryballe protocorinthienne style grec "figure rouge" en forme de chouette symbolise la sagesse et la virginité de l’antique Minerve romaine. Par syncrétisme avec Athéna, Minerve est la fille du dieu du Ciel et de la Terre Jupiter et la nymphe Métis. Le roi des dieux demande à son épouse de se transformer en goutte d’eau et l’avale alors qu’elle était enceinte. Jupiter pris d’un violent mal de tête demanda à son fils Vulcain forgeron, dieu du feu et des métaux, de lui fendre le crâne. La divine enfant sortie du crâne béant couverte de son armure, casquée et armée d’une lance. Minerve casquée est aussi le portrait emblématique officiel de l’Institut de France où se regroupent l’Académie française, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, l’Académie des sciences, l’Académie des sciences morales et politiques et l’Académie des beaux-arts.

Dans cette œuvre intitulée "Extrapolation paradoxale",  guerre, sagesse, prédation, honneur, stratégie, intelligence, industrie, pensée, lettres et arts sont tout à la fois mêlés comme une déduction faite à partir d’éléments pourtant connus mais contraire au sens commun. Proposition à première vue surprenante d’expression antithétique, faite de suppositions anachroniques associant des situations dissemblables.

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Pierre Corneille.

Jean-Bernard Pouchous - 2015.

N°5-Bibliographie :

N°5-1- Michel Onfray, Cosmos, éd. Flammarion, 2015.

N°5-2- Friedrich Wilheim Nietzsche, trad. Friedrich Würzbach, La volonté de puissance, éd. Gallimard, coll. Tel, 1995.

bottom of page