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AÏON - N° 01

N° 01-"NUM", 2019, acrylique sur toile, 162 x 130 cm.

« Le monde, tel que nous le percevons, est de notre invention. The world, as we perceive it, is our own invention. Was wir als Wirklichkeit wahrnehmen, ist unsere Erfindung. » Heinz von Foerster (1911/2002).

TINA.

La peinture intitulée "NUM", représente en son centre une tête de chien, l’animal porte chandail à capuchon comme le ferait un enfant, nous regardant obéissant. Il est accompagné d’une jeune femme qui pourrait être sa mère qui nous présente ostensiblement de sa main gauche, une carte bleue frappée des douze étoiles d'or à cinq branches du drapeau européen. En haut du tableau est écrit en lettre majuscules "NUM", diminutif de "numérique". Nous sommes dans une immense salle éclairée latéralement à gauche par de grandes fenêtres laissées ouvertes. Le sol est jonché de livres, abandonnés comme des détritus. Il s’agit d’une bibliothèque ou librairie en friche (non cultivée), à l’architecture au style propre à l’héroïque bétonnage moderne des années 60. En bas de la composition des livres et des légumes entourent l’image carrée d’un pangolin lové sur lui-même.

La ruine donne souvent un caractère pittoresque au décor des peintures traitant du déclin ou de la décadence. Mais les ruines sont aussi un instrument méthodologique qui révèle un état de crise, dotées d'un pouvoir critique mais aussi d'une dimension existentielle liée à l'expérience de la perte (1).

Les ordinateurs ont évolué à partir de machines à calculer programmables. Tout ce qui est "numérique" désigne, les relations sociales dans les circonstances où dominent les médias reposant sur des systèmes électroniques construits sur des fonctions logiques, arithmétiques, algorithmiques. Cette programmation à amené une surconsommation numérique, détruisant l’ancien monde fonctionnant avec des procédés analogiques, comme par exemple le livre papier dépendant tel la pieuvre de l’encre et des machines à imprimer. "La théorie de l'information" associée à cette transformation indique que tout message peut être codé sous forme numérique. Après sa conversion en données numériques, les ordinateurs peuvent traiter l'information qui décrit les supports de tous messages. L'électronique numérique a ainsi rejoint l'informatique pour traiter une quantité croissante de documents. L'adjectif "numérique" désigne aussi bien le traitement de texte numérique, que celui du son numérique, de la photographie numérique, de la télé numérique, du cinéma numérique…

Heinz von Foerster physicien et philosophe, informaticien et magicien, disait que la croissance hyperbolique de la population mondiale observée avant les années 1970 a dans les années 2000 été corrélée à une boucle de rétroaction (feedback) positive non-linéaires du second ordre entre la croissance démographique et le développement technologique qui peut être énoncé comme suit (2) :

- La croissance technologique implique une augmentation de capacité, une augmentation du nombre de personnes qui peuvent survivre sur toute parcelle de terre donnée.

- La croissance démographique (plus de personnes) implique plus d'inventeurs potentiels et donc une accélération supérieure de la croissance technologique.

- L'accélération de la croissance technologique provoque l'accélération de la croissance de la capacité de charge, dans une boucle de rétroaction positive.

- L'accélération de la croissance de la population reboucle également en accélérant la croissance du nombre d'inventeurs potentiels, puis une croissance encore plus rapide technologique.

- Par conséquent, une croissance encore plus rapide de la capacité intellectuelle culturelle pour les humains et biologique pour la vie, et ainsi de suite dans une boucle de rétroaction.

Réaction itérative

L’effet de la croissance exponentielle de la population mondiale est lié à sa propre cause, c'est-à-dire à la modernité sans précédent des techniques et technologies toujours plus performantes (médecine, communication, déplacement des personnes et des marchandises…) La répétition de la réaction entraîne un cercle vertueux ou vicieux en  amplification  continuelle, jusqu’à son extinction progressive inévitable comme dans le cas du "dodo". Oiseau de l’ile Maurice qui a totalement disparut un siècle après sa découverte par les navigateurs occidentaux. Les écologues distinguent cette "extinction numérique" de l’"extinction fonctionnelle", qui est la réduction de taille de la population d'une espèce telle qu'elle conduit à la raréfaction ou à l'extinction d'autres espèces dans la communauté, ce qui altère la fonctionnalité et la stabilité de l’écosystème.

Nous sommes dans des systèmes types "effet boule de neige",  "effet Larsen", "explosion nucléaire", qui s’amplifient et s’emballent tant que les limites physiques ne sont pas atteintes. Toutes régulations restent possibles vers une stabilité avec l’imposition d’avertisseur, clignoteur, spectromètre, thermostat, simulateur, contraceptif, implant RFID, etc… Fonctionnement chaotique,  qui peut néanmoins sous certaines conditions, déboucher sur l’abandon des connaissances papiers, ou sur l’émergence d’inconnu, d’objets que l'on ne connaît pas, dont on a oublié le nom ou que l'on désigne avec désinvolture comme "trucs" ou "machins" de remplacement.

Dans ce bric-à-brac de livres répandus au sol s’avancent au premier plan le "Petit Livre Rouge - Citations du Président Mao-Tse-Toung" de 1966 avec en deuxième page de garde une photographie sépia de Mao (1893/1976) par Hou Bo (1924/2017), Photographe officielle.

« Si celui qui a commis une erreur ne dissimule pas sa maladie par crainte du traitement et ne persiste pas dans son erreur au point de ne plus pouvoir être guéri, mais manifeste honnêtement, sincèrement, le désir de se soigner, de se corriger, nous nous en réjouirons et nous le guérirons, afin qu'il devienne un bon camarade. » Mao.

Le "Petit Livre rouge" est le livre le plus vendu au monde après la Bible, avec des ventes estimées à 2 milliards d'exemplaires selon les chercheurs occidentaux, 5 milliards selon l'agence de presse officielle chinoise "Xinhua" qui rappelle qu'à l'apogée de la "bible de l'Est" la planète comptait près de trois milliards d'habitants, ce qui ferait une moyenne de 1,5 exemplaire par personne (3).

Deux autres livres nous présentent leurs couvertures, l’un est "1984" (Nineteen Eighty-Four), qui est le plus célèbre roman de George Orwell (1903/1950), publié en 1949 (4). Il décrit une Grande-Bretagne trente ans après une guerre nucléaire entre l'Est et l'Ouest censée avoir eu lieu dans les années 1950 et où s'est instauré un régime de type totalitaire fortement inspiré à la fois du stalinisme et de certains éléments du nazisme. La liberté d'expression n’existe plus. Toutes les pensées sont minutieusement surveillées, et d’immenses affiches sont placardées dans les rues, indiquant à tous que « Big Brother vous regarde » (Big Brother is watching you) ; l’autre est "La Ferme des animaux" (titre original : Animal Farm. A Fairy Story), un roman court également de George Orwell, publié en 1945 (5). Il décrit une ferme dans laquelle les animaux se révoltent, prennent le pouvoir et chassent les hommes. Il s'agit d'une fable animalière et d'une dystopie écrite sous la forme d’une satire de la Révolution russe et d’une critique du régime soviétique, en particulier du stalinisme, et au-delà, des régimes autoritaires et du totalitarisme. Le livre figure dans la liste des cent meilleurs romans de langue anglaise écrits de 1923 à 2005 par le magazine Time.

« Dans la journée, la rumeur s’était répandue que Sage l’Ancien avait été visité, au cours de la nuit précédente, par un rêve étrange dont il désirait entretenir les autres animaux. » Eric Arthur Blair, pseudo d’Orwell.

« La guerre, c'est la paix. » - « La liberté, c'est l’esclavage. » - « L'ignorance, c'est la force. »

En décrivant le "Miniver" - Ministère de la vérité (propagande), Orwell a particulièrement bien démonté le langage totalitaire de la "Novlangue" ou "néoparler" caractérisée par l’utilisation de la "double pensée" : capacité à faire accepter simultanément deux points de vue opposés et ainsi mettre en veilleuse tout esprit critique.

« Vous ne pouvez pas avoir une révolution si vous ne la faites pas pour votre propre compte ; une dictature bienveillante, ça n’existe pas. » George Orwell, - Lettre à Dwight Macdonald, 5 décembre 1946.

Une image carrée nous montre un "Pangolin géant" (Smutsia gigantea) replié en boule, une espèce de mammifères insectivores, édentés, de la famille des Manidés qui vit en Afrique équatoriale. De tous les pangolins (Afrique, Java, Philippines, Indes, Chine, etc), c’est l’espèce la plus grosse avec un poids de 30 kg et une longueur totale de 1,40 m à 1,80 m. Une grande partie de son corps est couvert d’écailles qui le protège efficacement contre les prédateurs. Il se nourrit essentiellement de termites et fourmis qu’il attrape de sa longue langue gluante. Il loge dans des terriers, des cavités d’arbres ou des fourrés denses. Une tradition culinaire d’Asie orientale et du Sud-Est, encourage de consommer de la viande de "Pangolin à courte queue" ou "Pangolin de Chine" (Manis pentadactyla), pour des raisons de santé et pour "réchauffer" (sous-entendu la vigueur sexuelle), mais l’effet s’en est récemment inversé. Peu après le début de la pandémie de Covid-19 (Zoonose), le coronavirus responsable, le SARS-CoV-2, a été séquencé et il a été montré qu’il était identique à 96 % à celui d’une chauve-souris. Deux semaines plus tard, il est montré qu’il est identique à 99 % avec le coronavirus d’un pangolin. La chauve-souris serait le réservoir primaire et le pangolin, un animal vendu illégalement, serait un hôte intermédiaire avant l’homme. Hervé Morin, « Coronavirus : le pangolin a-t-il pu servir d’hôte intermédiaire ? » (6).

                Le pangolin, est perçu chez les "Lele" (Congo) comme le « monstre le plus incroyable » car réunissant tous les éléments que cette culture tient séparés. Le pangolin contredit toutes les catégories animales courantes ; son comportement est ambigu, il a des écailles comme les poissons, mais il grimpe sur les arbres. La femelle ressemble plutôt à une lézarde pondeuse d’œufs qu’à un mammifère, mais elle allaite ses petits. Considéré  comme anomalie, il est normalement dangereux et impropre à la consommation et on risque la mort en s’en approchant à moins d’être initié. Il en est de même, dit l’anthropologue britannique Mary Douglas (1921-2007), des personnes qui sont insituables (situées « aux marges », aux « confins du social », dans les « régions inarticulées », dans les « limites confuses »), des personnes au statut indéfinissable, non clairement identifiable (situées dans des catégories ambiguës et mal définies). Celles-ci sont désignées sorciers ou monstres. En effet, tous ceux qui sont placés à la fluctuation des frontières, aux limites, à la liminalité sont associés à l’impur (7).

Ces créatures non situables représentent les pouvoirs de pollution qui « sanctionnent toute infraction symbolique à la règle qui veut pue telles choses soient réunies et telles autres séparées ». Ces « polluants » constituent une menace pour ceux dont la situation est mieux définie : « La pollution est un type de danger qui se manifeste plus probablement là où la structure, cosmique ou sociale, est clairement définie ». Qu’ils soient animaux ou humains, ils ont toujours tort, car « ils ne sont pas à leur place ou encore ils ont franchi une ligne qu’ils n’auraient pas dû franchir et de ce déplacement résulte un danger pour quelqu’un » ; leurs  pouvoirs maléfiques servent de prétexte pour les supprimer.

Toute société est menacée de l’extérieur comme de l’intérieur. Des lignes de partage dangereuses séparent les groupes antagonistes, suscitent des rôles contradictoires plus ou moins ambigus. C’est dans ces « interstices » du système social que la souillure se loge. C’est là qu’il faut se livrer à des rites de purification. Les interdits qui s’opposent à la contagion de la souillure protègent la santé morale du corps social et préservent son unité. L’image de toute société, de toute culture, de toute structure, a une forme, « elle a ses frontières extérieures, ses régions marginales et sa structure interne. Dans ses contours, la société contient le pouvoir de récompenser le conformisme et de repousser l’agression ; dans ses marges et dans ses régions non structurées existe de l’énergie (dangereuse) » (8).

Un tas de légumes de toutes les couleurs (radis, poivrons, aubergines, tomates, poireaux) et un choux fleur manipulé par l’enfant-chien au capuchon, sont concentrés en bas à droite du tableau comme autant de ressources alimentaires profitables.

La production alimentaire mondiale a progressé plus rapidement que la croissance démographique. Le nombre de personnes sous-alimentées est passé de 37% de la population mondiale en 1970 à 15% en 2020. Cette révolution c’est produite grâce à :

- un défrichage systématique qui a donné de nouvelles terres cultivables ;

- l’usage d’engrais chimiques, de pesticides, de machines, d’irrigation, d’OGM, etc ; qui on permit un meilleur rendement ;

- au développement du conditionnement produit du commerce agricole qui s’est mondialisé grâce au transport maritime et aérien intercontinental et la publicité tout média, ouvrant de nouveaux débouchés de consommation et stimulant une hausse de la production.

La carte de crédit européenne serait-elle un nouvel "Ouroboros" étoilé, la boucle serait bouclée, le serpent se mordrait la queue ! Il n’aurait plus ni queue ni tête !

« There is no alternative » (TINA), traduit en français par « Il n'y a pas d'autre choix » ou « Il n'y a pas d'alternative » ou « Il n'y a pas de plan B », est un slogan politique couramment attribué à Margaret Thatcher (1925/2013) lorsqu’elle était Première ministre du Royaume-Uni (1979/1990). Ce slogan signifie que le marché, le capitalisme et la mondialisation sont des phénomènes nécessaires et bénéfiques et que tout régime qui prend une autre voie court à l'échec (9)

« Au XXe. Siècle, John Maynard Keynes et Theodor Roosevelt produisent une nouvelle version de l’Etat-nation, anglo-saxonne et nord-américaine, comme Etat fédéral promoteur et garant du welfare, c’est-à-dire d’un bien public supérieur aux intérêts particulmiers, et s’imposant à eux comme la loi même de la solidarité dans la Nation fédérale – qui est une nation non plus natifs, mais de migrants, dont l’unification se fera avant Roosevelt en grade part à Hollywood, le premier grand film qui y sera produit, Naissance d’une nation, étant explicitement raciste et affirmant la suprématie de la race blanche, ce qui viendra en partie corriger mais non effacer Autant en emporte le vent. » écrit Bernard Stiegler dans Bifurquer - Il n’y a pas d’alternative (10). 

"Autant en emporte le vent" (Gone with the Wind), est un film américain, sorti en salle en 1940, réalisé par Victor Fleming et George Cukor (3h.58mn). L’histoire est tirée d’un roman à succès de Margaret Mitchell (1900/1949), paru en 1936 (11). Synopsis : « Géorgie, en 1861. Alors que la guerre de Sécession approche à grands pas, la riche et belle Scarlett O'Hara ne pense qu'au bal donné dans la plantation de ses voisins. La jolie jeune fille attire toutes les convoitises, en particulier celle de Rhett Butler, un riche forceur de blocus. Mais elle ne voit qu'Ashley Wilkes, dont elle est éperdument amoureuse. Ce dernier annonce alors ses fiançailles avec sa cousine Melanie… »

L’Héroïne du film Scarlett O'Hara est interprété par Vivien Leigh (1913-1967) actrice britannique dont le visage ("screenshot" couleur 35mm.), est peint par Jean-Bernard Pouchous dans "NUM". Il devient ainsi celui de la femme qui tient de sa main gauche une carte bleu. Cette photo a un style (éclairage, maquillage-coiffure) sensuel et suggestif qui fait du rôle de "Scarlett" l’objet glamour de l’industrie  du spectacle hollywoodienne, par excellence.

« I'm not a film star - I'm an actress. Being a film star - just a film star - is such a false life, lived for fake values and for publicity. Actresses go on for a long time and there are always marvellous parts to play » Vivien Leigh.

Au début du roman, l’incarnation de la beauté pleine de charme et d'éclat est une jeune fille de 16 ans ; dans la super production américaine, elle est plus âgée comme toute vedette féminins de l’entre deux guerres. Elle se doit d’être tout à la fois suave, sexy, chic, et le plus à la mode possible (belle et coquette). Personnage égoïste, sans foi ni loi, ne reculant ni devant l'escroquerie ni devant le mensonge, Scarlett est une héroïne a priori peu sympathique. Toutefois son courage et sa persévérance face à l'adversité forcent l'admiration.

« Après moi le déluge. Ce doux et sociable proverbe est déjà le plus commun de tous parmi nous », écrivait Victor Riquetti de Mirabeau (1715/1789) dit « l'ami des hommes », en 1756.

Jean-Bernard Pouchous - 2020.

N°1-Bibliographie

1-1- Sophie Lacroix, Ce que nous disent les ruines : la fonction critique des ruines, éd.  L'Harmattan, 2007.

1-2- Korotayev Andrey, Malkov A., Khaltourina D. Introduction to Social Macrodynamics: Secular Cycles and Millennial Trends.

1-3- Pascale Nivelle, Histoire du Petit Livre rouge, éd. Taillandier, 2016.

1-4- George Orwell, trad. Josée Kamoun, 1984, éd. Gallimard, 2018.

1-5- George Orwell, trad. Jean Quéval, La Ferme des animaux, éd. Gallimard, 1984.

1-6- Le Monde, 7 février 2020 ; d’après Chine nouvelle, l’agence de presse officielle, le 7 février.

1-7- Lavigne Chantal, Le principe du pangolin - Handicap et parentalité, éd. INS-HEA, coll. Recherches, 2015.

1-8- Jeanne Favret-Saada, Désorceler, éd. de l’Olivier, coll. Penser/Rêver, 2009.

1-9- Bertrand Rothé et Gérard Mordillat, Il n'y a pas d'alternative ! : trente ans de propagande économique, éd. Seuil, 2011.

1-10- Bernard Stiegler, Bifurquer, éd. Les liens qui libèrent, 2020.

1-11- Margaret Mitchell,  trad. Jean-François Caillé, Autant en emporte le vent, éd. Gallimard, 2003.

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