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Photo de plateau du film "Moins égale plus ou moins plus", théâtre d’Aulnay-sous-bois, 93.

 

 

 

 

 

 

Moins égale plus ou moins plus, ou les dispositions de la rencontre.

 

GROUPE DE RECHERCHES ET D’ESSAIS CINEMATOGRAPHIQUES

N° 335 -  16 mm. couleur

© 1982          22 min.

UN FILM ECRIT ET REALISE PAR

JEAN-BERNARD POUCHOUS

(CO-SCENARISTE PIERRE ATTRAIT)

 

« Il ne s’agirait pas de filmer les peintures mais de les mettre en scène. »

Synopsis : Dans les dispositions de la rencontre un personnage, un peintre, traverse divers évènements, aux cours desquels il acquiert une boîte, en utilise le contenu appelé "moins égal plus ou moins plus" (1), puis s’en sépare pour de l’argent.

Ce "récit" est le résultat du rapprochement narratif de plusieurs oeuvres dont le sens de chacune, après "décortication", a été assemblée dans ce scénario, comme autant de témoignage d’une partie de ma démarche artistique de 1976 à 1979.

Œuvres concernées:

1976  Série pornographique

1977  Peintures :   - "La perte d’identité" - "Mac Donald à Pigalle" - "SOS" - "Notre Dame de Paris" - "Conception"

1978  Série des bébés

1979  Série Naturiste

(1) X prend Y pour  Z. Définition oulipienne crées par Raymond Queneau (1903-1976): On représente cette relation ternaire comme une multiplication, xy=z, dont on se donne la table. Une table de multiplication étant donnée a priori, on peut utiliser d’autres prédicats : x complote avec y contre z, par exemple. Les propriétés algébriques de la multiplication choisie s’interprètent en événements d’un récit.

Références d’intention du scénario:

« Le stade de la libération du sexe est aussi celui de son indétermination. Plus de manque, plus d’interdit, plus de limite: c’est aussi la perte de tout principe référentiel. La raison économique ne se soutient que de la pénurie, elle se volatilise avec la réalisation de son objectif,  qui est l’abolition du spectre de la pénurie. Le désir  ne se soutient lui-même que du manque. Lorsqu’il passe tout entier dans la demande, lorsqu’il s’opérationnalise sans restriction, il devient sans réalité parce que sans imaginaire, il est partout, mais dans une simulation généralisée. C’est le spectre du désir qui hante la réalité défunte du sexe. Le sexe est partout, sauf dans la sexualité.» Roland Barthes (1915-1980) (2).

« Il n’y a qu’une seule sexualité, qu’une libido - masculine. » Sigmund Freud (3).

« Le déclin de la psychanalyse et de la sexualité  comme structures fortes, leur ravalement généralisé dans  un univers psy et moléculaire (qui n’est autre que celui de leur. libération définitive) laisse ainsi entrevoir un autre univers (parallèle au sens où celle-ci ne se rejoignent jamais) qui ne s’interprète plus en termes de relations  psychiques et psychologiques, ni en termes de jeu, de défi, de relations duelles et de  stratégie des apparences : en termes de séduction. » Jean Baudrillard (1929-2007) (4).

Extrait du scénario original:

SEQUENCE III

III – A -    Gros plan de l’écran vidéo, diffusant une image brouillée du film pornographique. On entend des vibrations de plus en plus intenses.

III – B -    Dans le silence, une masse de liquide bleu traverse l’écran en diagonale et vient se répandre sur la toile rayée d’un matelas.      La caméra suivra le mouvement. Le plan sera filmé au ralenti.

SEQUENSE IV

IV – A -     Le cadre montre, au plan large, la cathédrale Notre-Dame de Paris (la lumière, les couleurs, doivent évoquer de toute évidence une carte postale.

IV – B -     Au sommet de chacune des tours de la cathédrale est déployée une grande croix rouge ce plan est effectué en animation : dessin au feutre directement sur la pellicule).

IV – C -     En alternance et de façon très rapide, vont se succéder 7 gros plans de bébés et de vues de Notre-Dame. Hors champ est formé le numéro d’appel téléphonique de 7 chiffres.(...)

SEQUENSE V

V – A -      Le numéro d’appel téléphonique, entendu dans la séquence présédente, se forme sur un écran vidéo.

SEQUENSE VI (...)

La photo de plateau en noir et blanc que nous voyons ici  illustre une séquence du film "Les Dispositions de la rencontre", celle-ci se déroulait dans la reconstitution d’une oeuvre du peintre Gustave Courbet (1819-1877) (5), intitulée: "L’Atelier du peintre" (1855) huile sur toile, (359 x 598 cm.) Musée d’Orsay, Paris.

Chef de file du courant réaliste, Courbet s’est engagé dans les mouvements politiques de son temps, il a été l’un des élus de la Commune de 1971 (6).

« Quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime si ce n’est le régime de la liberté. » Lettre de Gustave Courbet à Maurice Richard (1832-1888), Ministre des Beaux Arts, le 23 juin 1870, publié dans "Le Siècle", le même jour (7).

L’Atelier du peintre est une œuvre peinte la même année que la publication de son "manifeste du réalisme". Son titre complet est "L’Atelier du peintre. Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale)". Elle est acquise en 1920 par le musée du Louvre, offerte en partie par l’association les amis du Louvre, apport complété par une souscription publique et une contribution de l’État. Elle est actuellement exposée au Musée d’Orsay.  La scène originale se passe dans l’atelier de Courbet à Paris. Elle est divisée en trois parties: au centre, l’artiste, un modèle nu et un enfant. À sa droite, les élus, les bons ; à sa gauche, ceux qui vivent de la mort et de la misère.

« C’est l’histoire morale et physique de mon atelier, première partie. Ce sont les gens qui me servent, me soutiennent dans mon idée qui participent à mon action. Ce sont les gens qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C’est la société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot, c’est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi. » Courbet dans  "Lettre à Champfleury", 1855 (8).

Les interprétations de ce tableau restent multiples on peut compter trois niveaux de lecture: le tableau de genre avec le portrait de groupe, le paysage et le nu ; les personnifications et les allégories.

Dans le film "Moins égale plus ou moins plus" ou "Les Dispositions de la rencontre"  Jean-Bernard Pouchous avais reconstitué le décor de l’atelier avec de ses peintures de grands formats et remplacé le paysage du centre par une de ses oeuvres représentant un naturiste au sommet d’un toboggan, tenant une camera 16mm. Toutes ses connaissances de l’époque étaient venues se figurer dans le décor aux emplacements imposés par la mise en scène du tableau de Courbet. Sur cette photo nous voyons au premier plan, Pierre Attrait (co-scénariste) qui fait le Christ, il n’est pas du bon côté. Selon Courbet, il y a, « à gauche, l’autre monde de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort.»

Très peu de peintres se sont, jusque là, représentés au centre de leurs œuvres. Ses élus et réprouvés sont comme départagés par une  "religion nouvelle", celle de l’artiste ou de l’art, "religion" commune aux socialistes utopiques, aux romantiques, ainsi qu’au polémiste, publiciste, économiste et sociologue Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) (9), ami et confident du peintre. Courbet se définissait lui-même comme un républicain "de naissance" (10). A la mise en scène, Pouchous avais enlevé ce personnage central  qu’était l’auteur de l’oeuvre Gustave Courbet en personne et laissé sa chaise de peintre vide. Comme il était l’acteur principal de ce film, il traversait cette scène  (filmée en travelling) en tenant à la main la fameuse boite noire du film (Moins égal plus ou moins plus) pour se retrouver dans la séquence suivante face à une toile qui remuait toute seule, dégoulinante de peinture bleue brillante sur laquelle était projeté un film porno.

Rares sont les artistes qui ont, davantage que Courbet, construit leur carrière grâce au scandale, il restera à jamais insoumis et frondeur. 

« Ah, si je pouvais avoir plusieurs vies, je me serais consacré à faire des films d’auteur aux scénarii tirés de peintures dont les compositions m’emportent toujours dans des histoires ou le vraisemblable, le phantasme et l’imaginable se  télescopent de plans en plans comme à travers ce premier  essai de traduction en langage cinématographique audiovisuel (11) de ce grand tableau allégorique "L’Atelier…»

Jean-Bernard Pouchous - 2007.

Bibliographie :

-1- Raymond Queneau, Les Fondements de la littérature : D'après David Hilbert, éd. Bibliothèque oulipienne, 1976.

-2- Roland Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, éd. Gallimard, coll. Cahiers du cinéma, 1980.

-3- Gérard Pommier, Libido illimited. Freud apolitique ? éd. Erès, 1999.

-4- Jean Baudrillard, De la séduction, éd. Galilée, coll. L’espace critique, 1980.

-5- Youssef Ishaghpour, Courbet, le portrait de l'artiste dans son atelier, éd. L' Echoppe, 2000.

-6- James Henry Rubin, Réalisme et vision sociale chez Courbet et Proudhon, éd. du Regard, 1999.

-7- Gustave Courbet, Lettre au Ministre des Beaux Arts, éd. Echoppe, 2007.

-8- Yves Chevrel, Le naturalisme, éd. PUF, coll. Littérature moderne, 1993.

-9- Pierre-Joseph Proudhon, De la pornocratie, éd. Carnet de l’Herne, 2009.

-10- Gros-Kost, Courbet : souvenirs intimes, éd. Idées et calendes, 1994.

-11- Luc Vancheri, Cinéma et peinture : Passages, partages, présences, éd. Armand Colin, coll. Cinéma, 2007.

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