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Etudes

Mine de plomb sur carnet de croquis A4, 1997 : "D’après G. Marconi, Etude de nu. 1870. cat. 181", "D’après G. Le Gray, Nu dans l’atelier. 1849. cat. 150", "D’après Vaguereau, étude de nu, 1883. cat.188", "D’après L.  C. Olivier, Etude de nu. 1855. cat. 207", "D’après P. Berthier. Etude de nu 1861. cat. 67", "D’après V. Galdi, Jeune homme dans la position du faune barberini. 1900. cat .118", etc…

« Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter. » Marguerite Duras.

 

Des nus.

« Doping to lose », ce terme serait même antérieur au dopage classique. C’est du moins la thèse défendue par le docteur Francis Heckel, médecin du sport dans les années 1920: « Autrefois, en Angleterre, le verbe “to dope” signifiait abrutir un matelot par quelques lampées massives de gin dans les cabarets des ports de mer jusqu’à le mettre dans un état d’inconscience suffisant pour qu’il signe son embarquement. Ces méthodes auraient ensuite été copiées dans les courses de chevaux. » Le même auteur décrit alors l’histoire d’un lad d’écurie qui à la barbe du jockey: « abrutissait le cheval de l’écurie concurrente en lui injectant subrepticement sous la peau un doping néfaste.» Le dopage depuis n’a jamais cessé son développement pernicieux pour gagner tous les milieux d’activités diverses et variées, professionnelles et privées, et les produits dopants ont progressé en malignité et discrétion dans leur stupéfiantes ambitions, leurs réussites douteuse et défaites spectaculairement destructrices. Voilà des comportements de menteurs et de tricheurs qui sont loin d’être des modèles. Souvent les mauvaises langues amalgament la critique du dopage des athlètes à celle des artistes qui dessinent d’après photo. En effet, stupéfait par le degré de réalisme obtenu par ce procédé, ces observateurs souvent étrangers au milieu de l’estampe considèrent ce nouveau moyen de représentation comme de la tricherie, comme l’utilisation d’un intermédiaire illicite entre le modèle et l’artiste, un dopant facilitant la performance du dessinateur. Amalgame fâcheux car si vous regardez les dessins d’après photo de dessinateurs n’ayant aucun don naturel pour le dessin à main levé ou ne sachant pas dessiner de façon académique sur le motif, vous seriez surpris du manque d’effet photoréaliste, voir de réalisme, sans parlé d’assurance d’expression graphique ou de style personnel de ses réalisations graphiques. Mais l’art n’est peut-être pas lié à l’excellence, à la compétition entre artiste ou à la performance, au dépassement de soi ? A quand les championnats du monde ou les jeux olympiques du dessin de modèle vivant, d’académie, de nature morte ou sur le motif en extérieur ? Vite au gymnase !

Jean-Bernard Pouchous trouve bien bizarre de ne pas utiliser cette vieille invention française (1) comme André Derain (1880-1954) (2) et bien d’autres. Il aime bien s’entraîner à représenter le corps humain d’après photo, il choisi ses photos parmi les plus travaillées en noir et blanc par les photographes édités comme ici avec celles de G. Marconi, de G. Le Gray, de Vaguereau, de L. C. Olivierde, P. Berthier et de V. Galdi. Mais je n’est jamais eut les moyen de m’offrir, comme Eugène Delacoix en son temps, qui à défaut de manier lui-même l'objectif, faisait poser et photographier en 1854 par Jean Louis Marie Eugène Durieu (1800-1874) une série de modèles nus, masculins et féminins, qu'il a également dessiné d’ailleurs. On sait par sa correspondance et son journal que l’artiste romantique emportait parfois avec lui ces photographies pour s'exercer au dessin là où il ne pouvait pas disposer de modèles vivants (3) et que l’on peut en voir certain tirage d’époque au Musée Delacroix, Place Furstenberg, Paris, 75006.

Jean Sagne, auteur du livre intitulé "Delacroix et la photographie" (4) , nous dit: « En faisant intervenir un processus mécanique dans le mode de production de l’image, la photographie jette le trouble dans le champ de la représentation. »  Si, en 1839, le peintre d’histoire Paul Delaroche (1797-1856) (5) affirme, apparemment sans crainte, que les procédés daguerriens: « portent si loin la perfection de certaines conditions essentielles à l’art qu’elles deviendront pour les peintres, même les plus habiles, un sujet d’observation et d’études», bien vite, par un réflexe de défense, la grande majorité des artistes faits preuve de méfiance à leur égard. Pour certains d’entre eux, principalement les miniaturistes, les photographes se révèlent être de redoutables concurrents; comme le suggèrent les mentions "peintre et photographe" ou "peintre au daguerréotype" portées sur les publicités des premiers ateliers de portraits, une reconversion s’opère. En 1842, le caricaturiste Charles Amédée de Noé dit Cham (1818-1879), publie un dessin dont la légende, "Un rapin devenu photographe", témoigne également du recyclage qui s’effectue dans le rang des peintres. Et Charles Baudelaire (1821-1867), dans son Salon de 1859  (6), évoque  « l’industrie photographique qui était devenue le refuge de tous les peintres manqués, trop paresseux ou trop mal doués pour achever leurs études. » Les photographes Gustave Le Gray  (1820-1884), Henri Jean-Louis Le Secq  (1818-1882), Charles Nègre (1820-1880), Roger Fenton  (1819-1869), sont tous d’anciens élèves de l’atelier du peintre Paul Delaroche, auteur du célèbre tableau "Le roi Edouard V et le duc d’York à la Tour de Londres" (1831). Le lithographe Julien Vallou de Villeneuve  (1795-1886), le portraitiste  Antoine-Samuel Adam Salomon  (1818-1881), Hippolyte Lazergues (1817-1887), s’initient à une technique qui tentera également les dessinateurs satiriques Charles Constant Albert Nicolas d’Arnoux de Limoges Saint Saens, dit Bertall  (1820-1882), le caricaturiste Etienne  Carjat  (1828-1906), Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar  (1820-1910) (6), mettent au service de la plaque sensible un don d’observation du visage et d’analyse de l’expression longuement développée par la pratique de la caricature. Seuls les peintres mineurs, "fruits secs" des ateliers seront réellement gênés par l’apparition de la photographie. Paradoxalement, ceux d’entre eux qui se reconvertiront deviendront fréquemment des photographes de tout premier plan. Mais Nègre, Le Gray, Nadar, Le Secq, Bertall, Vallou de Villeneuve et de nombreux autres n’abandonnent pas toujours leur première vocation et mènent les deux activités de front. Louis-Joseph Ghémar (1820-1873), peintre de portraits belge, est aussi un grand photographe mondain. Face à l’intruse, les stratégies sont diversifiées à l’extrême. Les peintres académiques, ceux qui ont les honneurs du Salon et bénéficient des commandes de l’État, n’ont aucune raison de craindre la concurrence de la photographie. Toutefois, en 1862, par un manifeste, ils disent leur indignation lorsqu’il est question de l’assimiler aux productions devant être protégées par la loi de 1793 relative à la propriété artistique: «Considérant que la photographie se résume en une série d’opérations toutes manuelles qui nécessitent sans doute quelque habitude des manipulations qu’elle comporte,... les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune circonstance, être assimilées aux oeuvres, fruit de l’intelligence et de l’étude de l’art...». Ce texte signé par Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Constant Troyon (1810-1865), Hippolyte Flandrin (1809-1864), Joseph-Nicolas Robert Fleury  (1797-1890), Pierre Cécile Puvis de Chavannes (1824-1898), Louis-Pierre Henrique Dupont (1797-1892) est  mis à profit par Betbéder et Schwabbé, assis sur le banc des accusés de la Cour Impériale de Paris pour répondre à une plainte déposée par Mayer et Pierson. Les photographes du boulevard des Capucines, constamment spoliés d’une partie de leurs bénéfices par des contrefacteurs qui reproduisent et vendent à leur profit les portraits de leur galerie, dans le cas présent ceux de Camillo Benso, comte de Cavour (1810-1861)et sir Henry John Temple, 3e vicomte Palmerston ou Lord Palmerston  (1784-1865), en portant leurs doléances devant la justice, posent la question de la nature de la photographie, de sa reconnaissance en tant qu’art. On aura remarqué que, parmi les signataires du manifeste, il manque un nom: celui d’Eugène Delacroix. En effet, il est un des seuls peintres, avec Ziégler (a), à figurer en 1851 parmi les membres fondateurs de la Société héliographique. Ce fait, qui ne passera pas inaperçu, a contribué, plus que ses écrits et ses propos, à donner de lui l’image d’un défenseur inconditionnel de la photographie.

La Société héliographique se proposait de « mettre en rapport les uns avec les autres les hommes isolés qui cherchent chacun à part et luttent pendant de longues années contre les obstacles que, par communication, par échange, par causerie, ils eussent franchis en une heure. »  (La Lumière, 9 février 1851). Des photographes, mais aussi des scientifiques comme Antoine Henri Becquerel (1852-1908), des hommes de lettres comme le publiciste Wey (b) et le romancier Jules François Félix Husson, dit Champfleury (1821-1889) (7), des opticiens comme Chevalier et Lerebourg, le graveur Lemaître et de riches amateurs se réunissaient deux fois par mois pour faire progresser 1’art photographique et défendre sa cause.

(a)Jules-Claude Ziégler (1804-1856). Peintre, élève de François-Joseph Heim (1787-1865) et d’Ingres. On lui doit la décoration de la coupole et de la Madeleine à Paris. Obligé d’abandonner la peinture à cause de sa mauvaise vue, il s’est consacré à la photographie, dont il sera un des principaux promoteurs, tant sur le plan technique que sur ceux de l’esthétique et de la théorie. Il est également à l’origine du journal La Lumière.

(b) Francis Wey (1812-1882), publiciste, ardent défenseur de la photographie dans le journal La Lumière, créé en même temps que la Société héliographique au début de l’année 1851, fit la connaissance de Delacroix chez Théophile Gautier (1811-1872) en 1847.

Jusqu’à l’usage de la photographie, le dessin et la peinture avaient pour rôle la représentation de la réalité. Les artistes étaient tiraillés entre le besoin d’une représentation fidèle à la réalité et le désir d’embellir leurs tableaux pour les rendre plus attrayants. Grâce à la photographie presque tout le monde pouvait disposer de son portrait ou de représentations d’objets ou de lieux qui restaient jusque-là réservés à une élite économique, quand il fallait demander à un artiste de réaliser une image. La photographie inaugure une nouvelle ère dans la représentation, elle offre une représentation du réel "objective". C’est-à-dire que l’homme ne représente plus le réel tel qu’il le voit et tel qu’il le peut mais c’est le réel qui impressionne, "seul", le support. Ainsi la photographie trouve rapidement son usage propre dans le reportage, la documentation scientifique, reproduction d’oeuvres d’art, etc, elle ambitionnait alors de faire un inventaire du monde. Nous savons toutefois aujourd’hui que cette objectivité a ses limites (8). Déjà la photographie argentique permettait de travestir la réalité, d’ajouter ou de retrancher des éléments d’une image par un patient travail de laboratoire. Avec l’avènement de la photo numérique et de logiciel de gestion d’image comme Adobe photoshop  tout est à nouveau remis en question. Aujourd’hui, presque tout le monde a la capacité de "prendre une photo". La représentation du monde en a été transformée et les sociologues ne manquent pas d’étudier les pratiques et les résultats de cette photographie populaire constituée de milliard et milliard de clichés (au sens propre comme au sens figuré).

Une accumulation d’instantanés, d’instants à jamais disparus ?

Pour Serge Tisseron dans "Le mystère de la chambre claire, Photographie et inconscient" (9), la photo. n'est pas seulement nostalgie du passé. Elle est toujours partagée entre deux désirs opposés et complémentaires : l'un vise à arrêter le défilement du temps et à figer la représentation, l'autre anticipe et accompagne le mouvement du monde. Le premier est mélancolie, le second est bonheur. « L’acte de photographie correspond à un état d’esprit caractérisé par l’omniprésence de la mort et de l’angoisse à l’égard de la haine qui risque à tout moment de la provoquer (…) La photographie serait ainsi un moyen de lutter contre l’angoisse de toute perte, que ce soit celle de la mort ou celle des métamorphoses monstrueuses du corps qui le rendent différent et étranger. Elle substituerait au réel de la mort la satisfaction imaginaire qu’offre une représentation transfigurée et figée et sa pratique reposerait sur une désintrication des motions pulsionnelles d’amour et de haine ; (…) »

La photo serait fascinée par la mort tout autant que par le miroir, nous voulons jouir en même temps de notre décrépitude et de sa vision. Voir et être vu dans un seul mouvement afin de réguler une pulsion qui sortirait sans cela, de son cadre scopique pour prendre des formes plus agressives Béatrice Steiner et Françoise Fritschy dans "Mort et création : De la pulsion de mort à l’expression" (10). Déjà Homère, au livre XI de l’"Odyssée", implore : « Ne me farde pas la mort » (v. 488) et met en évidence de la sorte un des tropes les plus éclatants de l’implacable faucheuse : la pratique du maquillage, de la ruse, de la machination, l’art de la mètis. Une évidence s’impose, travestie ou crûment étalée, la mort à besoin d’émissaires : « Faute de penser la mort, il ne nous reste (…) que deux solutions : ou bien penser sur la mort, autour de la mort, à propos de la mort ; ou bien penser à autre chose qu’à la mort, et par exemple à la vie. » écrit Vladimir Jankélévitch (1903-1985) (11).

Jean-Bernard Pouchous - 2008.

Bibliographie :

B-1- Quentin Bajac, L'Image révélée : L'Invention de la photographie, éd. Gallimard, coll. Découvertes, 2001.

B-2- Françoise Marquet, Derain et la photographie, éd. Idées et Calendes, coll. Littérature polychrome, 2000.

B-3- Christophe Leribault, Sylvie Aubenas, Françoise Heilbrun, Fiona Le Boucher,  Delacroix et la photographie, éd. Le Passage, 2008.

B-4- Jean Sagne, Delacroix et la photographie, éd. Herscher, coll.  Format Photo, 1982.

B-5- Claude Allemand-Cosneau, Paul Delaroche, un peintre dans l’histoire, éd. Musée des Beaux-Arts, 1999.

B-6- Charles Baudelaire, Wolfgang Drost, Ulrike Piechers, Salon de 1859 : Texte de la Revue française, coll.Textes de littérature moderne et contemporaine, éd. Honoré Champion, 2006.

B-7- Nadar, André Rouillé, Nadar, Correspondance, 1820-1851. Tome 1, éd. Jacqueline Chambon, coll. Rayon photo, 1998

B-8- Pierre-Jean Amar, Histoire de la photographie, éd. PUF, collection Que sais-je?, 1999.

B-9- Serge Tisseron, Le mystère de la chambre claire : Photographie et inconscient, Ed. Flammarion, coll. Champs Art, 2008.

B-10- Béatrice Steiner, Françoise Fritschy, Mort et création: De la pulsion de mort à l’expression, éd. L’Harmattan, coll. Psychanalyse et civilisations, 2000.

B-11- Vladimir Jankélévitch, La mort, éd. Flammarion, coll. Champs Essais, 2008.

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