

Totok polychrome, 160 x 120 x 120 cm., 1995/96.

Totok polychrome, 160 x 120 x 120 cm., 1995/96.

Totok polychrome,120 x 50 x 50 cm., 1994/95.

Totok polychrome, 160 x 120 x 120 cm., 1995/96.
Sculptures Malanggan
N°3-"L’ancêtre féminin du souffle Papoue" (détail), (160x120x120cm.), "L’ancêtre masculin du souffle Papoue" (détail), (160x80x80cm.), Totoks polychromes, bois, pierre, métal et fibres, 1995/96.
« Nous habitons un monde interprété par d’autres où il nous faut prendre place. Le monde interhumain est un monde de sens autant qu’un monde de sens (E. Strauss, Du sens des sens, Jérôme Millon, 1989), un monde où nos sens prennent sens, un monde où notre sensorialité se charge d’histoire, elle qui gouverne nos émotions autant que nos perceptions. "Je est un autre", disait Rimbaud, et Apollinaire en écho: "...Tout les autres sont en moi. " » Mazoyer-Chermat (1).
N°3 - Les Malanggan de Pouchous.
Dès son retour de Papouasie, Pouchous exprimait cette formidable rencontre artistique aux antipodes par la réalisation d’une série de sculptures polychromes originales.
Faire des malanggan? C’est la théorie qui ordonne, dans tous les sens du terme : « elle donne .forme parce qu’elle met de l’ordre en même temps qu’elle contraint. Il faut alors que «l’ordre engendre le désordre pour que la méthode comparative provoque une surprise, un roulement de tambour avertissant que quelque chose se donne à voir et à penser, brisant ainsi la litanie intellectuelle, cet ordre de cimetière.» P. Delbrouck (1949/…) (2).
Tout d’abord il faut énoncer 6 principes théoriques et 9 directives motrices pour nous rappeler que les ancêtres sont parmi nous :
Les 6 principes théoriques sont communs de l’art mélanésien:
1-Emploi, pour une même oeuvre, des matériaux les plus divers;
2-Rôle essentiel dévolu, dans certaines oeuvres, à la mobilité, soit de l’objet entier, soit de l’une ou l’autre de ses parties ;
3-Lien unissant l’oeuvre à des espaces définis, consacrés aux activités sacrées ;
4-Absence de représentations d’êtres où l’on peut incontestablement voir des divinités religieuses;
5-Absence de représentations d’êtres où l’on peut incontestablement voir des divinités personnalisées,
6-Relatif manque d’intérêt pour une représentation objective, proche des formes de la nature.
Les 9 directives sont "Les Nourritures affectives"(3), que Boris Cyrulnik (1937-…), nous propose d’observer en 1993, comme un étrange objet nommé "affectivité". J’ai fait miens ces principes pour aborder quelques thèmes communs aux êtres vivants, concernant la genèse et la fonction de ces sens qui donnent du sens au réel:
1- La rencontre: Pour faire un enfant il faut se rencontrer. Le simple fait que les êtres vivants ne se trompent pas d’espèce pour se reproduire prouve qu’ils savent traiter certains signaux, au moins ceux qui leur permettent de se reconnaître. A ce niveau du vivant, les rencontres sont provoquées par des signaux chimiques, physiques, sonores ou visuels. Le monde humain n’ignore par ces signaux, mais il s’en sert dans des discours comportementaux et des récits qui déterminent les rencontres avec plus de précision que les molécules olfactives ou les spectres sonores.
2- L’enfant: Le résultat de cette rencontre est un enfant, qui comprend bien avant que de parler. La pensée s’organise d’abord à partir des perceptions qui alimentent les premières représentations sensorielles. C’est pourquoi les foetus humains s’entraînent à structurer leurs perceptions, pour mieux leur échapper... plus tard quand viendra la parole.
3-Les parents et leur culture: Dès le jour de sa naissance, le nourrisson est confronté à un monde mis en scène par ses parents et leur culture. La mère fournit les premières informations, comme un géant sensoriel qui progressivement se réduit pour faire place à d’autres personnages, dont les pères et les pairs sont les principaux. Mais les sociétés ne cessent de s’inventer en créant des objets, des gestes et des champs sensoriels qui façonnent biologiquement l’enfant.
4- La violence: Pourquoi faut-il que la violence vienne troubler ce paradis de la connaissance? L’effondrement des règles apparaît chez les animaux quand un accident biologique ou écologique déritualise le groupe; leur transgression fonde au contraire la condition humaine, qui ne respecte ni les lois de la nature ni les règles inventées par les générations antérieures. La violence créatrice doit alors se comprendre comme la force qui permet l’évolution humaine et son passage de la nature à la culture.
5- Biologie et culture: La biologie et la culture s’opposent et se mêlent comme deux cours d’eau confluents. En ce sens, l’innommable inceste entre la mère et le fils permet de repérer comment cet acte impensable se réalise pourtant, au point de rencontre entre une biologie altérée et une culture malade à en brouiller le sentiment parental, aucun des deux ne se ressentant ni mère, ni fils. La mère ne s’inscrit pas dans une structure de parenté, mais d’abord dans une structure affective qui peut se dégrader, à cause de tout ce qui abîme l’affectivité.
6- Le récit: Enfin, au dernier acte, quand le crépuscule des vieux chante sa dernière production, il la compose avec les traces du passé dont il fait un récit adressé au présent. Mais quand le contexte défaille, l’effet palimpseste de la mémoire permet aux premiers écrits, refoulés par les urgences de la vie quotidienne, de faire retour dans la conscience, comme si c’était aujourd’hui.
7- Le regard: Dans le faisceau, le regard ressort comme l’échange le plus imprécis à décrire et le plus précis cependant pour sentir. C’est lui qui assume la fonction la plus exacte dans la régulation de la distance d’intimité ou de sécurité (4). La puissance de l’appel muet du regard est très étonnante. Dans ce contexte de sensorialités brouillées, le regard conserve une émouvante précision. Sa fonction d’appel est facile à vérifier.... Le regard de l’autre n’est pas neutre, c’est une perception qui provoque une alerte émotive, une sensation d’invitation ou d’intrusion.
La vérification expérimentale est facile...
Il y a une ontogenèse de se croisement du regard. Avant la parole, les enfants ne baissent pas les yeux, ils regardent sans ciller celui qui les regarde. Le regard constitue la voie sensorielle la plus émouvante. Et pourtant, il n’y a pas transport de matière, de substance sensorielle, olfactive, sonore ou cutanée. La fonction d’interpellation du regard, sa valeur ajoutée d’invite ou d’agression, dépend du contexte et de l’histoire des sujets qui se regardent. C’est pourquoi le regard est tellement culturel.
Croiser le regard constitue un geste universel, mais lourd de sens et chargé d’émotion.
Quand les amoureux plongent leurs regards l’un dans l’autre, ils échangent leurs émotions et créent une intimité (5), qui constitue le début de l’acte sexuel. C’est dans la conversation que la distance affective est la mieux gouvernée. Celui qui écoute regarde longuement celui qui parle (6).
Ce dernier synchronise ses regards et ses paroles en détournant le regard puis en interpellant du regard dans une harmonie gestuelle où la moindre faille rompt le charme et instille une sensation d’étrangeté. La conversation, rigoureusement codée, ne laisse rien au hasard. c’est pourquoi les timides, les anxieux, les agressifs, les paranoïaques, les schizophrènes et tous les sujets humains, en quelques phrases, créent un champ d’émotions, intensément perçues mais non représentées, où chacun reçoit de l’autre des échantillons affectifs qu’il goûte, pour ainsi dire, aux premiers mots.
La sensorialité de la rencontre est rigoureusement codée. Il ne s’agit pas d’une masse informe où les sens nous pousseraient les uns vers les autres, comme une pulsion amorphe où le hasard provocateur figerait les relations.
Au contraire tous les sens ont un sens (7).
L’olfaction est profondément culturelle. Et pourtant ce sens qui nous échappe est le plus incontrôlable de nos sens.
Les yeux ne servent pas qu’à voir. Ils servent aussi à croiser les regards et échanger nos affects. Le ballet des regards et des mots, parfaitement synchronisé, utilise l’espace entre les corps. Le rythme des échanges permet d’emboîter les locuteurs comme deux danseurs conversationnels.
8- Le mythe du groupe: Le mythe du groupe, en prescrivant des rites d’interactions, crée le champ sensoriel qui façonne l’enfant. Il suscite un sentiment d’évidence qui permet d’agir sur le monde et de ressentir un sentiment d’appartenance: nous pouvons nous lier, agir ensemble, et nous aimer.
Son effet pervers, c’est de nous pousser à tenir pour fous, méchants ou de mauvaise foi, ceux qui partagent d’autres mondes.
Le mot désignant l’appartenance donne une vision simple mais pratique de l’autre, il a l’avantage d’éviter le travail de la pensée.
La trame de cette structure comportementale et affective qui façonne l’enfant, c’est le choeur des récits de son groupe sur son groupe. Les récits sont composés d’interdits qui bloquent certains comportements, de règles qui en facilitent d’autres, de légendes qui créent des impressions, de mythes qui donnent sens et de symboles qui transforment les choses en signes. C’est à dire que les romanciers, les cinéastes, les artistes, les essayistes et autres inventeurs de mythes sont responsables du monde qui nous entoure puisqu’ils le créent, bien plus que les biologistes, qui sont actuellement satanisés après avoir été divinisés par notre culture.
9- Appartenance: Mais une question se pose: est-ce que la quantification d’un facteur biologique serait suffisante pour créer un sentiment d’appartenance?
Le sentiment d’appartenance germine mieux dans l’histoire quotidienne que dans l’hérédité biologique, laquelle existe souvent là où on ne l’attend pas. Et pourtant même chez les animaux, il est difficile de séparer l’héréditaire et l’hérité.
L’hérédité et l’héritage se transmettent à travers les générations bien avant la parole. Dès que celle-ci apparaît, et la représentation du temps qui rend possible le récit, on peut faire l’hypothèse que le petit d’homme hérite en même temps des chromosomes de ses parents et de leur bibliothèque, sans oublié..., les objets humains sont imprégnés d’histoire.
Alors que le petit d’homme est quand même enfanté par le désir commun de son père et de sa mère il leur appartient tellement qu’il s’enquiert rarement du nom de son père biologique (8). Ce qui ne veut pas dire que celui-ci n’existe pas dans une représentation secrète, cela veut dire que l’enfant désire appartenir à ceux qui l’élèvent, même si au fond de lui-même, le secret des origines joue un rôle psychologique…secret.
N’appartenir à personne c’est ne devenir personne.
Il faut donc appartenir. N’appartenir à personne, c’est ne devenir personne. Mais appartenir à une culture, c’est ne devenir qu’une seule personne. On ne peut pas devenir plusieurs personnes à la fois sauf à connaître des troubles d’identification qui compromettent son insertion dans le groupe. Il y a des cultures qui considèrent qu’un enfant sans appartenance mérite la mort.
Les sculptures "L’ancêtre féminin du souffle Papoue" et "L’ancêtre masculin du souffle Papoue" sont le fruit de cette réflexion nourrit des 6 principes théoriques et des 9 directives motrices pour se rappeler que les ancêtres sont parmi nous. Les ancêtres de Jean-Bernard Pouchous ne sont pas ceux des Papoues des Iles Tabar de culture Malanggan, mais ceux d'un Européens de culture française.
Mais il est peut-être arrivé aux européens ce qui est arrivé aux romains en colonisant l’univers grec/hellène, hébreux/juif et barbare, être colonisé de l’intérieur notamment par les cultures "colonisées"; celles d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie et plus précisément pour ma part, par celles de Mélanésie avec notamment la culture Malanggan.
N°4-Photo du verger de Marvelise en 1996 pendant les prises de vue des Malanggan.
"L’ancêtre oiseau / pierre", polychrome (220 x 50 x 50 cm.), bois, pierre, métal et fibre, 1994/95.
« Les ancêtres sont parmi nous ! »
N°4 - Le mythe du groupe.
« Je commencerai par un dialogue imaginaire :
-Penses-tu que des ancêtres sont parmi nous?
Tu dis ancêtre, du latin antecessor qui veut dire prédécesseur, et que l’on définit comme précurseur lointain d’une personne notoire, initiateur d’une idée, d’une doctrine où, en parlant de quelque chose, une réalisation qui en préfigure une autre. Le dictionnaire considère aussi comme ancêtres tous ceux qui ont vécu dans des siècles passés et dont le peuple est la continuation. Rappelle-toi la fameuse phrase qui a fait couler beaucoup d’encre chez les historiens et les «leaders» de la «nouvelle Afrique»: "nos ancêtres les Gaulois... "
-Je vois bien ce que tu veux dire… Tu parles de religions primitives, tu penses à ces cultes archaïques bien connus des ethnologues, à ces croyances irrationnelles que le progrès de la pensée et de la science a, une fois pour toutes, définitivement balayés! Pardonnes-moi, mais je ne comprends pas le sens de ta question. Me prends-tu pour un primitif en m’interrogeant sur la présence de ces….ancêtres dans notre monde ou alors es-tu victime de dangereuses hallucinations ?
Les deux à la fois peut-être. En fait, si j’observe les conduites des hommes, je m’aperçois qu’en dépit de leurs "certitudes exprimées" quant à la fin de la religion, à la «mort de Dieu» ou à la disparition d’une certaine conscience païenne elles restent marquées par des croyances que l’on peut qualifier de religieuses.
Le fait même de croire, par exemple que E=mc2 (il s’agit-là d’une «vérité» scientifique) les oblige, ipso facto, à croire en Einstein. Alors que peu de gens sont en mesure de vérifier empiriquement le bien-fondé de cette "vérité", tout le monde où presque s’accorde à reconnaître au père de la théorie de la relativité le pouvoir de dire ce qui est vrai et de «fonder» ainsi, en quelque sorte, la représentation que nous avons de notre univers.
L’adhésion à cette autorité serait-elle possible sans que celui qui 1'«incarne» reçoive de la part des vivants une sorte de consécration post-mortem? Serait-il possible donc vraiment absurde d’affirmer qu’Einstein est parmi nous? Il est vrai que cet ancêtre de la physique moderne, nous ne le voyons pas. Il est cependant aisé de sentir son invisible présence lors des divers rites de commémoration qui lui sont dus en sa qualité de «mort éminent»; quant à moi, j’imagine son visage au sourire ironique apparaître et disparaître derrière la fumée du dernier vecteur spatial au départ pour la planète Mars. Hallucinations…? » Fabrizio Sabelli (1).
Sculpter des Malanggans ?
Marvelise est un petit village du Doubs d’une centaine d’habitants et plus de 200 vaches, où Jean-Bernard Pouchous avait en 1994 son atelier. Il avait stocké des poutres de chêne provenant de ferme détruite de 300 ans d’âge dont la plus grosse avait une section de 40 cm., et le sculpteur s'est mis au travail. Il avait bien compris qu’un sculpteur de Malanggan figurait un grand nombre d’éléments ou de motifs qui avaient tous un nom particulier. Ces éléments devaient se retrouver sur tout les spécimens fabriqués, à la bonne place, à la taille voulue, avec les décorations et les couleurs adéquates comme un modèle qui en l’absence d’archives matérielles et d’exemple conservé ne dépendait que des mots, puisque les œuvres après les cérémonies étaient abandonnées ou vendues aux blancs (2).
Cette iconographie particulière pour chaque type de Malanggan était transmise oralement au sculpteur par les commanditaires qui en vérifiaient la représentation symbolique. Ces ayants droits en avaient hérité de leurs ancêtres à la suite de précédentes cérémonies et devaient conserver comme une image mentale le modèle transmis par leur mémoire jusqu’à leur exécution.
« ...si en Mandak le verbe "malanggan" désigne effectivement l’acte d’écrire, et si le substantif qui en est dérivé désigne “l’écriture”, le verbe et le nom ne s’appliquent aux marques, aux dessins, et à l’acte de leur production, qu’à la condition qu’ils soient réalisés avec des instruments (crayon, pinceau) ou procédé de type occidental. De plus, et contrairement à ce qui est dit, jamais la feuille de papier écrite ou dessinée, l’assiette décorée ou le tissu imprimé ne sont appelés “malanggan”; et lorsqu’il arrive que les vitraux d’une église ou les images d’un film sont nommés par ce terme, c’est toujours en précisant qu’il s’agit des "malanggan" des Blanc. » Brigitte Derlon (3).
Il faut savoir que les femmes dans ces société matrilinéaire et éxoclanique, bien qu’elles fussent censées ignorer jusqu’à la nature matérielle des malanggan, pouvaient recevoir des droits d’usage de leur modèle. L’exposition du mort et des Malanggans durait quelques jours, puis la proclamation du transfert de droit avait lieu juste avant la destruction ou la mise au rebut ou en vente du malanggan.
La survie du modèle en tant que représentation mentale pouvait durer parfois plusieurs dizaines d’années et pour qu’il puisse ressusciter sous forme d’esprit inspirateur de nouvelles réalisations matérielles de ce malanggan il fallait des pense-bêtes visuels. Ceux-ci étaient pris dans la nature et le quotidien du clan, comme par exemple le bec de calao sculpté et tenu entre les dents comme un sifflet.
Ce bec de Calao reconnaissable au premier coup d’oeil pendant les danses où les hommes l’exhibaient déguisés, le visage occultés par des masque, des peintures, coiffés de plumes, donnait à voir la manifestation spirituelle des morts et des êtres surnaturels à travers l’image/objet de cet oiseau.
Environ 20 langues sont parlées en Nouvelle-Irlande et, en comptant les nombreux dialectes ou sous-dialectes, le total tourne sans doute aux alentours de 45. Le “kuot” est la seule langue qui ne soit pas austronésienne parlée au nord et au centre de la Nouvelle-Irlande (PNG), par un peuple de 2.400 locuteurs assez différente de celles parlées en Papouasie à la fois pour sa grammaire et son vocabulaire. S’agit-il du langage d’envahisseurs ou du peuple antérieur aux antiques austronésiens ?
N°5-"L’ancêtre masculin du souffle Papoue", Totok polychrome (160 x 80 x 80 cm.), bois, pierre, métal et fibres, 1995/96
"L’appel du requin", Totok polychrome (160 x 120 x 80 cm.),
bois, pierre, métal et fibres, 1995/96.
"Petit deuil d’arbre", Totok polychrome (120 x 50 x 50 cm.),
bois, pierre, métal et fibre, 1994/95.
"Petit deuil d’arbre et Petit deuil de pierre", Totok polychrome (120 x 50 x 50 cm.), bois, pierre, métal et fibre, 1994/95.
N°5 - Régénération.
Nous sommes sous les tropiques et ces cérémonies se déroulent uniquement durant la saison sèche dont la fin signait l’arrivée de la nouvelle année, le cycle de reproduction des habitants des coraux et le retour des pluies.
« Le monde souterrain des morts sur lequel règne Moroa, l’entité quasi divine identifiée au soleil, est un lieu marqué par l’existence permanente de fertilité, d’abondance et de concorde nommé Limila. Les esprits des morts y vivent en harmonie dans une nature généreuse qui regorge de fruits et de gibier dont ils n’ont qu’à se saisir pour se nourrir. Le fait que le lieu paradisiaque soit réservé aux morts dont le corps intact autorise un processus "correct" de décomposition s’explique par le lien indissoluble qui unit la fertilité à sa source, la pourriture. Réservoir de fertilité, l’inframonde est perpétuellement alimenté par l’énergie libérée par les fluides de putréfaction des cadavres de ces morts qui y pénètrent après s’être infiltrés dans le sol du site funéraire. » Brigitte Derlon (1).
Jean-Bernard Pouchous n’étant pas de Tabar, ni un ayant droit d’usage des malanggan, ce qu'il regrette, n’ayant aucun droit de reproduction du modèle d’un type quelconque de Malanggan, il ne pouvait en confectionner pour célébrer ses propres proches décédés. Ces droits d’auteur ne pouvant se transmettent qu’en exclusivité et qu’à l’issus d’une cérémonie où un spécimen de ce type aurait été fabriqué, il a inventé ses propres modèles de "malanggan" à sa mode et copyright perso. En deux ans Pouchous avait réalisé avec herminette, scie, ciseaux et maillet, une dizaine de pièces. Poncées, peintes, huilée, habillées de fibres colorées, illustrées de petites sculpture en bois ou en pierre de calcaire accrochées dessus ou dessous, certaines parties étaient peintes de couleurs vives pour en signifier l’anatomie humaine ou animal.
En 1996, ces oeuvres étaient disponibles à l’exposition publique. Sur la photo présentée ici, intitulée "Photo du verger de Marvelise en 1996 pendant les prises de vue des Malanggan.", nous voyons le verger derrière l'atelier de l'époque à Marvelise dans le Doubs. A cet endroit il y avait une petite dalle de ciment d’un ancien poulailler qui servait d’espace de prise de vue photographique en extérieur. Comme fond, sur un échafaudage fait de gaules de noisetier, l'artiste avait installé un pendrillon en coton blanc. Ce jour d’été là, la lumière était douce et ce fut l’occasion d’une série de photos de ses "Malanggans".
Les photos suivantes montrent quelques une des sculptures photographiées de différents point de vue : "L’ancêtre oiseau-pierre"; "L’ancêtre masculin du souffle Papoue"; "Petit deuil d’arbre"; "L’appel du requin"; "Petit deuil d’arbre" et "Petit deuil de pierre". Ces oeuvres étaient montées sur des socles en cornières de fer soudées et peintes en noir satin. Les connaissances acquises aux antipodes auprès des sculpteurs fréquentés aux Beaux-Arts. Loin du réalisme des oeuvres picturales de l'artiste, ce travail de taille directe met plus en valeur son intérêt pour les représentations symboliques et sa relation existentielle à la mort et aux autres ancêtres défunts, mais plus que tout, aux vivants compagnons du quotidien. Elles ont toutes été réalisées à compte d’auteur à Marvelise entre 1994 et 1996. Pouchous vivait alors avec sa petite famille, de quelques ventes d’oeuvres, de quelques charges de cours dans le département et à Paris le reste du temps était consacré à cet ouvrage, vivant des légumes du jardin, des fruits du verger et de la viande acheté aux éleveurs locaux. C’était formidable mais cette autarcie laborieuse n’a pas duré, d’autres projets sont venus perturber cette retraite et l'ont appelé ailleurs, plus loin.
Jean-Bernard Pouchous - 2004.
Bibliographie :
N°3-1- P. Mazoyer-Chermat, Dédoublement et création littéraire, éd. L’Information psy, n°3, 1991
N°3-2- P. Delbrouck, Le désordre caché, éd. Actualités médicales internationales psychiatrie, coll. VIII. n°132, 1991
N°3-3- Boris Cyrulnik, Les Nourritures affectives, éd. Odile Jacob, 1993
N°3-4- M. Argyle, La communication par le regard, éd. La recherche, coll. XIII, 1982.
N°3-5- Pasini Willy, Marie-France Brouillet, Eloge de l'intimité, éd. Payot et Rivages, Petite coll., 2002.
N°3-6- Jacques Cosnier, Catherine Kerbrat Orechioni, Ethologie du dialogue Décrire la conversation, éd. PUF, 1987.
N°3-7- Erwin Strauss, trad. Georges Thinès, Jean-Pierre Legrand, Du sens des sens, éd. Jérôme Million, 1989.
N°3-8- Michel Soule, 9 mois avant l'an 2000, éd. ESF, coll. Vie de l'enfant, 2000.
N°4-1- Jacques Hainard, Roland Kaehr, Fabrizio Sabelli, Les Ancêtres sont parmi nous, éd. Musée d’ethnographie de Neuchâtel, coll. Revue, 1988.
N°4-2- Alain Nicolas, L’art papou : Austronésiens et Papous de Nouvelle-Guinée, Musée de Marseille, 2000.
N°5-1- Brigitte Derlon, La mort à bras le corps - jeux de substitution et régénération en Nouvelle-Irlande, éd. CNRS - Maison des Sciences de l’Homme, coll. Chemin de l’Ethnologie, 1997.