

180 x 270 cm., A/T, 2021.

180 x 270 cm., A/T, 2021.
AÏON - N° 10
N° 10 - "Nulla sine merore voluptas", 2020, acrylique sur toile, 160 x 240 cm.
« Être un avec le tout, voilà la vie du divin, voilà le ciel l’homme. Être un avec tout ce qui vit, dans un saint oubli de soi, retourner au sein de la totalité de la nature, voilà le sommet des idées et de la joie, voilà les saintes âmes, le lieu du repos éternel où la chaleur de midi n’accable plus et où l’orage perd sa voix, où le tumulte de la mer ressemble au bruissement du vent dans les champs de blé. […] Mais, hélas, j’ai appris à me différencier de tout ce qui m’environne, je suis isolé au sein du monde si beau, je suis exclu du jardin de la nature où je croîs, fleuris et dessèche au soleil de midi. » Friedrich Hoölderlin, Hyperion (1).
Vie de château.
La peinture intitulée "Nulla sine merore voluptas", représente une grande allée, menant aux portes d’un château du 18e. siècle. La cour est cadrée d’allées et de pelouse à la française et derrières les toitures d’ardoises des bâtiments de grands arbres du parc se découpent sur un ciel bleu. La perspective est fermée par une haute grille en fer forgé entre les murets des douves. Une biche et un cerf élaphe sont assis sur le gravier au premier plan. Le mâle a la tête au centre du tableau et nous regarde tous bois dressés. Au dessus du cadre d’armoiries de la grille, une grande affiche révolutionnaire de l’époque soviétique montre le visage de profil d’une jeune femme qui crie, la main gauche en porte voix : FREE... Les lettres s’agrandissent en direction d’une couronne de laurier en or d’où bondi, tous crocs dehors, un léopard. De la gueule du fauve tombe une guirlande de réveille-matins à ressort mécanique de toutes les couleurs. En bas à droite du tableau, un billet fixé par deux sceaux cachets de cire rouge porte l’écriture d’un poème de Ronsard.
« J'aime les tableaux qui donnent envie de me promener dedans » Auguste Renoir (1841/1919).
Avec ce tableau de Jean-Bernard Pouchous nous nous retrouvons au cœur de la montagne de Reins et de ses riches vignobles, devant l’ancien château de François Michel Le Tellier de Louvois (1641/1691), ministre d'État de Louis XIV (1638/1715). Situé dans le département de la Marne, un premier château fut édifié au XIIIe siècle, saisie révolutionnaire en 1793, il fut démantelé, les pierres vendus par les acquéreurs successifs. Le domaine entre dans la famille Chandon de Briailles en 1834 qui fait reconstruire un pavillon de chasse d'architecture classique. En 1989 le pavillon est acheté par la maison de champagne Laurent Perrier. La grille d’entrée actuelle en fer forgé est connue pour être l’un des plus beaux spécimens d’ancienne serrurerie en fer forgé.
Louvois fut l'un des hommes d'État les plus importants du règne de Louis XIV. D'abord secrétaire d'État à la Guerre puis Surintendant des Bâtiments du roi en 1677. Dans Le siècle de Louis XIV (2), Voltaire écrira à propos de Louvois « Il fut plus estimé qu’aimé du roi, de la cour et du public ... » Descendant d’une famille de marchands parisiens qui assumait de hautes responsabilités au sein de l’Etat, l’ascension professionnelle de Louvois se fait au sein de l’administration de la Guerre, aux côtés de son père. Succédant à Colbert, sa nomination à la tête de la surintendance des Bâtiments du Roi donne à Louvois l’occasion de satisfaire son goût pour les bâtiments et les jardins avec les grands chantiers emblématiques de Versailles comme le Grand Commun, l’agrandissement des Petites et Grandes Ecuries, les ailes du Nord et du Midi, la Grande Galerie, l'Appartement du roi, le cabinet des Médailles, l’Orangerie et le Trianon de Marbre. Cette fonction favorise également l’ascension du peintre Pierre Mignard (1612/1695), qui accède au titre de Premier peintre du Roi à la mort de Charles Le Brun (1619/1690). Il dirige l’ornement des jardins commandés aux grands sculpteurs de l’époque comme Antoine Coysevox (1640/1720), Étienne Le Hongre (1628/1690), Jean-Baptiste Tuby (1635/1700) ou François Girardon (1628/1715). Il est de plus chargé de l’aménagement du Grand Parc, pour lequel il fait construire une enceinte de 40 km, et de la ville de Versailles. La période Louvois est caractérisée également par la prédominance de travaux d’ingénierie et d’hydraulique : il met en place la dérivation de l’Eure au moyen d’un aqueduc monumental, l’Aqueduc de Maintenon, plus gros chantier des Bâtiments du Roi après le canal du Midi. Après avoir réussi à donner à Versailles sa forme quasi définitive, Louvois meurt alors que de grands projets comme celui de la Chapelle royale sont encore en suspens. En perdant Louvois, le roi perd l’un de ses plus grands ministres.
Cette grande et belle demeure dans la Marne, bordée de jardins a inspiré Jean-Bernard Pouchous pour en garder l’évocation typique d’un pavillon de chasse et ainsi rappeler la « grande vénerie » aussi appelée « chasse à courre » ou « chasse à courre, à cor et à cri », « chasse à bruit » (venatio clamosa) et « chasse par force ». Mode de chasse à cheval et à pied qui consiste à poursuivre un animal sauvage comme le cerf, le daim, le chevreuil, le sanglier ou le loup, par une meute de chiens courants, jusqu'à son épuisement (chasse à l'épuisement) et sa prise. Très pratiqués sous l’ancien régime ses méthodes de chasse ont peu évolué à travers les âges, l'utilisation des chiens, des chevaux, de la trompe et de la dague fatidique existait déjà au XVe siècle comme en témoignent certaines représentations picturales comme par exemple l'Histoire de Nastagio degli Onesti, une série de quatre tableaux de Sando Boticelli (1445/1510) exécutés en 1483 sur commande de Laurent le Magnifique (1449/1492) afin de faire un cadeau de mariage à Giannozzo Pucci et Lucrezia Bini.
Nastagio degli Onesti, personnage du de Boccace (1313/1375) (Décameron - cinquième journée, huitième histoire (3)), noble dont les avances amoureuses sont repoussées par la dame de ses pensées, assiste dans le bois de Ravenne à une scène irréelle : un ancien amoureux et sa dame qui se refusait à lui, déjà morts depuis un temps tous deux, sont condamnés à répéter éternellement une scène de chasse tragique qui voit le cavalier assassiner sa belle et la donner à manger à ses chiens. Onesti organise un banquet dans la forêt pour que ses convives assistent à la scène dans le but de convaincre sa dame de la destinée fatale qu'elle risque de subir. La dame convaincue d'échapper ainsi à un sort similaire, accepte les avances amoureuses d'Onesti. Ils se marient. Les quatre panneaux exécutés a tempera sur bois (83 × 138 cm) se trouvent pour trois d'entre eux au Prado de Madrid, le dernier et quatrième épisode au Palazzo Pucci de Florence. 1- Nastagio rencontre une dame et le cavalier dans le bois de Ravenne. 2- Assassinat de la dame. 3- Le banquet dans le bois. 4- Noces de Nastagio degli Onesti.
Inutile et incertain.
Qu’elle peut bien être l’utilité d’un tel tableau ?
Eugène Ionesco (1909/1994) l'a très justement observé, « si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art » et bien des années avant lui, une description de la cérémonie du thé avait d'ailleurs permis à l’érudit japonais Okakura Kakuzô (1863/19013) de situer, dans le simple geste d'un homme cueillant une fleur pour l'offrir à sa compagne, le moment précis où l'être humain s'est élevé au-dessus des animaux : « En percevant l'usage subtil de l'inutile, il est entré dans le royaume de l'art. » D'un seul coup, un double luxe : la fleur (l'objet) et l'acte de la cueillir (le geste) représentent tous les deux l'inutile, qui remet en question le nécessaire et le profit (4).
Les poètes savent bien que c'est seulement loin des calculs et de la vitesse qu'il est possible de cultiver la poésie. Ainsi, selon Rainer Maria Rilke (1875/1926) « être artiste veut dire ne pas calculer, ne pas compter, mûrir tel un arbre qui ne presse pas sa sève, et qui, confiant, se dresse dans les tempêtes printanières sans craindre que l'été puisse ne pas venir ». Les vers ne se plient pas à une logique de la précipitation et de l'utilité. Bien au contraire, comme le suggère Cyrano de Bergerac dans ses dernières répliques de la pièce du même nom (1897) d'Edmond Rostand (1868-1918), l'inutilité est parfois nécessaire pour que chaque chose devienne plus belle : « Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je sais ! / Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! / Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! » (5).
Une biche et un cerf élaphe sont assis sur le gravier au premier plan. Le mâle a la tête au centre du tableau et nous regarde tous bois dressés. Le cerf élaphe (Cervus elaphus) est un grand cervidé des forêts tempérées d’Europe. En France, les cerfs mâles pèsent entre 120 et 250 kg (150 kg en moyenne) pour une taille de 130 à 150 cm au garrot et environ 1,70 à 1,80 m à la hauteur de la tête, les biches, pèsent entre 67 et 100 kg pour une taille qui varie selon les individus de 1,10 à 1,30 mètre au garrot et 1,50 m environ à la hauteur de la tête. Mâles et femelles vivent séparément de décembre à août et se retrouvent pour une période de fécondation qui s'étend en Europe tempérée du 15 septembre au 15 octobre. Le rut, marqué par le cri rauque et retentissant du mâle (le brame) intervient à la fin de l'été ou au début de l'automne, et dure environ un mois, mais on peut encore entendre bramer des cerfs jusqu'à mi-novembre. Le son du brame tient du rugissement et du mugissement et s'entend à plusieurs kilomètres de distance. C'est aussi le terme désignant le rut chez cette espèce. Le mâle avertit ainsi les femelles réceptives de sa présence, intimide ses concurrents potentiels et défie les autres mâles qui s'aventureraient sur son territoire. Il devient particulièrement agressif à ce moment-là. En cas de rencontre avec un autre mâle, après une phase d'intimidation, les deux adversaires vont mener un combat très violent durant lequel ils se projettent la tête en avant l'un contre l'autre dans le but de déséquilibrer l'adversaire. Ces combats peuvent conduire à l'abandon ou à des blessures assez graves voire la mort par épuisement des deux cerfs s'ils restent coincés par leurs bois emmêlés : seuls des mâles de puissance et de ramure comparables s'affrontent de la sorte.
Le cerf porte sur sa tête des organes osseux appelés les bois ou trophées. Leurs ramifications sont des andouillers. Chaque année, juste après la saison du rut, a lieu la mue, période pendant laquelle les bois tombent (bois morts). Ils sont ensuite remplacés par des refaits ou nouveaux bois. Ils ne doivent pas être assimilés à des cornes dont ils sont bien différents. Ces organes sont protégés, innervés et vascularisés grâce à un tissu tégumentaire que l’on nomme le velours, qui recouvre les bois jeunes au printemps, lors de leur repousse. Puis, quand les bois ont atteint leur taille définitive, le velours sèche et tombe. Le cerf porte donc sur sa tête des organes osseux appelés bois ou trophées et leurs ramifications sont des andouillers.
Chasse.
Au Moyen Âge, le cerf était un animal à la charge symbolique particulièrement forte, à l'égal de l'ours ou du lion, il faisait partie des royautés animales. Des auteurs comme Bède le vénérable (672/735) ou Raban Maur (780/856) en font l'image du chrétien, de l'homme innocent, pur et saint. La légende de l'invention des reliques de saint Denis, trouvées par Dagobert 1er. (302/639) sur les indications d'un cerf envoyé par la Providence renforce cette idée. Les hagiographes de saint Hubert (656/727) ou de saint Eustache (martyre en 118) l'associent plus particulièrement au Christ, apparu en croix à ces deux saints entre les bois d'un cerf. Divers parallèles sont établis en ce sens par les lettrés du Moyen Âge. Les récits de vénerie insistent ainsi sur le fait que le cerf est un animal destiné à être sacrifié au terme d'un rituel précis, comme le Christ a été rituellement sacrifié. De même, les bois du cerf, repoussant chaque année après être tombés, apparaissent comme des images de la résurrection.
Saint Eustache fut honoré comme patron des chasseurs durant les derniers siècles du Moyen Âge, jusqu'à l'époque où il fut supplanté, surtout en Europe centrale, par saint Hubert.
Hubert de Liège, né à Toulouse entre 656 et 658 et décédé à Fouron-le-Comte (ou à Tervueren) le 30 mai 727, est un saint chrétien, évêque de Tongres et de Maastricht. Jan Breughel l’Ancien (1568/1625) et Pierre Paul Rubens (1577/1640), se sont associés pour nous le montrer dans La vision de saint Hubert ou Miracle de Saint Hubert (1617), une huile sur toile (63 x 100,5 cm.) du Musée du Prado à Madrid en Espagne. Depuis le XVe. siècle on dit que le seigneur Hubert était si passionné de chasse qu'il en oubliait ses devoirs. La légende rapporte qu'il n'avait pu résister à sa passion un Vendredi saint, et n'ayant trouvé personne pour l'accompagner, était parti chasser sans aucune compagnie. À cette occasion, il se trouva face à un cerf extraordinaire. En effet, celui-ci était blanc et portait une croix lumineuse au milieu de ses bois. Hubert se mit à pourchasser le cerf mais celui-ci parvenait toujours à le distancer sans pour autant se fatiguer. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que l'animal s’arrêta et qu’une voix tonna dans le ciel en s’adressant à Hubert en ces termes : « Hubert ! Hubert ! Jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes dans les forêts ? Jusqu'à quand cette vaine passion te fera-t-elle oublier le salut de ton âme ? ». Hubert, saisi d'effroi, se jeta à terre et humblement, il interrogea la vision : « Seigneur ! Que faut-il que je fasse ? » La voix reprit : « Va donc auprès de Lambert, mon évêque, à Maastricht. Convertis-toi. Fais pénitence de tes péchés, ainsi qu'il te sera enseigné. Voilà ce à quoi tu dois te résoudre pour n'être point damné dans l'éternité. Je te fais confiance, afin que mon Église, en ces régions sauvages, soit par toi grandement fortifiée. » Et Hubert de répondre, avec force et enthousiasme : « Merci, ô Seigneur. Vous avez ma promesse. Je ferai pénitence, puisque vous le voulez. Je saurai en toutes choses me montrer digne de vous ! »
Dès le milieu du ixe siècle, on offrit à monsieur saint Hubert les prémices de la chasse.
Richard II d'Angleterre (1367/1400) roi qui inspira Shakespeare (1564/1616), choisit le cerf blanc couché sur une prairie que l'on voit sur les panneaux extérieurs du diptyque Wilton (Musée des beaux-arts du Canada) comme emblème personnel. C'est néanmoins avec les rois de France du xve siècle que le cerf trouve les plus fidèles dévots. Si le cerf fait discrètement partie du vocabulaire traditionnel de la monarchie, c'est Charles VI (1368/1422) dit le Bien-aimé, le Fou ou le Fol, qui, le premier, donne à cet animal une réelle importance dans le bestiaire royal, sous la forme du cerf ailé (parfois appelé cerf volant ou cerf de justice). Philippe de Mézières (1327/1405) introduit ainsi ce thème dans le Songe du viel pèlerin (6), décrivant le roi comme un « noble cerf ailé », image du Christ sur Terre. Cette comparaison aura un immense succès pendant tout le XVe siècle. Son fils Charles VII (1403/1461) dit le Victorieux ou le bien servi, reprend cette symbolique pour affirmer sa légitimité et sa filiation, faisant souvent représenter ses armoiries tenues par deux cerfs blancs ailés portant une couronne autour du cou. Louis XI (1423/1483) dit le Prudent, peu enclin à la pompe symbolique et à la célébration allégorique de son pouvoir, délaisse quelque peu les cerfs qui seront à nouveau à l'honneur sous Charles VIII (1470/1498) et Louis XII (1462/1515) surnommé le Père du peuple. Celui-ci est le dernier à être chanté comme le cerf de France.
Nobles et veneurs se réunissaient au château ou au pavillon de chasse, avec de nombreux convives en repas de fête, banquet, festin, frairie, bombance et gueuleton… et dévoraient leurs proies cuit rôti à la broche ou en ragoût. Il ne restait alors que les carcasses et les chiens en rongeaient les os.
OS
Nos os se renouvellent en permanence. C’est un cycle permanent de formation et de destruction, l’os est vivant. Ce phénomène s'appelle le « remodelage osseux ». Deux types de cellules issues des cellules osseuses interviennent : les ostéoclastes qui vont d'abord détruire l'os anciennement formé et les ostéoblastes qui vont reconstruire un nouvel os. Le remodelage s'effectue dans les deux types d’os : os spongieux et cortical. Dans l’os spongieux, le taux de renouvellement est de 25% par an. Il est plus lent dans l’os cortical, de l’ordre de 3 à 4% par an. Cette histoire d’os a une portée philosophique. Le problème est de savoir si le changement de matière implique un changement d'identité, ou si l'identité serait conservée par la forme, ou encore d'une autre façon. La légende du bateau de Thésée rapportée par Plutarque dans Vies des hommes illustres (7), exprime ce paradoxe : « Le navire à trente rames sur lequel Thésée s’était embarqué avec les jeunes enfants, et qui le ramena heureusement à Athènes, fut conservé par les Athéniens jusqu’au temps de Démétrius de Phalère. Ils en ôtaient les pièces de bois, à mesure qu’elles vieillissaient, et ils les remplaçaient par des pièces neuves, solidement enchâssées. Aussi les philosophes, dans leurs disputes sur la nature des choses qui s’augmentent, citent-ils ce navire comme un exemple de doute, et soutiennent-ils, les uns qu’il reste le même, les autres qu’il ne reste pas le même. »
Si on avait gardé les planches du bateau et qu'avec, on en avait reconstruit un autre, lequel serait le vrai bateau ? Cette hypothèse est formulée par Thomas Hobbes (1588/1679) dans Elementorum philosophiae sectio prima De corpore (8). Le bateau de Thésée n'aurait pu rester identique à lui-même que s'il était resté à quai, constamment entretenu, et dans ce cas, même si aucune pièce ne subsistait du bateau d'origine, c'est bien ce bateau-là qui aurait été le témoin de l'aventure de Thésée (9).
Le bateau de Thésée est une illustration d'un problème philosophique plus général : un objet dont tous les composants sont remplacés par d'autres reste-t-il le même objet ? D'autres illustrations en existent, comme celle du "couteau de saint Hubert" appelé aussi "couteau de Jeannot". En référence au couteau de saint Hubert, patron des chasseurs, qui, après de nombreuses réparations dans lesquelles il avait été complètement renouvelé, n’en passait pas moins, aux yeux des fidèles à qui on le montrait, pour être matériellement tel qu’il avait été entre les mains de ce saint, on substituait Jeannot à saint Hubert. Dans un temps où l’on jugeait prudent et sage de ne pas mettre en jeu un nom consacré par la religion, on disait : « C’est le Couteau de Jeannot , dont on change tantôt le manche et tantôt la lame, et qui reste toujours le couteau de Jeannot. » Notez que ce que nous disons du couteau de saint Hubert ou du couteau de Jeannot, les Athéniens le disaient de la théorie de Thésée.
« Remets dans mon cœur du sang – jusqu’à l’ultime artère (…) je n’ai pas épuisé mon temps de terre » Vladimir Maïakovski (1893/1930) (10).
LILI LIBRE
Au dessus du cadre d’armoiries de la grille du château, une grande affiche révolutionnaire russe de l’époque léniniste montre le visage de profil de Lili Brik (1891/1978) qui pose les yeux écarquillés et le regard fixe, la main gauche en porte voix pour crier le mot FREE... Cette image est inspirée de la propagande communisme soviétique de 1924, un photomontage d’Alexandre Rodchenko (1891/1956) pour une affiche Gosizdat qui crie ses lettres d’Agit-prop : Книги (LIVRES). Un Soviétique (en russe : советский человек) était un citoyen de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), en son temps le plus grand pays au monde par sa superficie, créée en 1922 et dissoute en 1991.Le terme de Soviétique vient directement du mot soviet qui désignait un « conseil » d'ouvriers, de paysans et de soldats, organe politique de base en URSS.
Lili Brik était une actrice et réalisatrice russe, sœur d’Elsa Triolet (1896/1970) et muse du poète Maïakovski. Pro eto (De ça), grand poème épique, est certainement son chef-d’œuvre, écrit lors d’une période de crise amoureuse (il rencontre à ce moment-là des déconvenues dans sa relation avec Lili Brik, mais aussi politique (avec la naissance de la NEP, c’est la question du devenir de la Révolution russe qui se pose), il fait surtout l’aveu d’une crise poétique profonde et magnifique (11) comme nous pouvons le lire dans la dernière lettre de Maïakovski à Lili Brik : « Le canot de l’amour - S’est brisé contre la vie courante. - Je suis quitte avec la vie. - Inutile de passer en revue - Les douleurs, Les malheurs, - Et les torts réciproques. - Soyez heureux. » (12).
Le XXIe. Siècle débuta par d’autres cris d’agit-prop russe, ceux des Poussy riot (émeute de chattes) groupe de punk rock féministe formé en 2011 dont trois d’entre elles sont condamné en 2012, à deux ans de prison pour vandalisme et incitation à la haine religieuse. Elles portent des cagoules colorées et des tenues légères dans leurs performances artistiques provocantes. La plus connue étant celle qui eut lieu avec le groupe d’activiste "Voïna" en 2008 dans le musée zoologique de Moscou où elles participent à une vidéo montrant des relations sexuelles en groupe et en public dans le cadre d’une action anti-gouvernemental. Ce sont des pensées du performeur Oleg Kulik (1961/…) que "Voïna" et "Pussy Riot" tirent l'essentiel de leur inspiration anthropocentrisme et de l’animalité de l’être humain. Conception philosophique qui considère l’humain comme centre de tout et qui appréhende la réalité à travers cette seule perspective. L’homme reste le mètre-étalon pour mesurer tout phénomène comme le géocentriste pour la terre, le théocentrisme pour dieu et le biocentrisme pour la nature.
« Why Have I Bitten a Man? » (Pourquoi j’ai mordu un homme) et « To Bite or to Lick » (Mordre ou lécher).
L’absence de soumission, de servitude, de contrainte, d’aliénation... que celles-ci soient exercées par d'autres individus ou - non plus physiquement mais opérant sur les mentalités - par la société comme par exemple la propagande, le contrôle sociale ou la loi, dès lors que certaines dispositions sont vécues comme liberticides… Différents adages font ressortir l'équilibre à trouver dans une alternative, visant notamment à rendre la liberté compatible avec des principes de philosophie politique tels que l’égalité et la justice. Ainsi : La « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme), ce qui implique la possibilité de « faire tout ce qui n'est point interdit, comme ne pas faire ce qui n'est point obligatoire » (art. 5), la « liberté de dire ou de faire ce qui n'est pas contraire à l'ordre public ou à la morale publique » (droit administratif) ou encore « La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ». Dans une telle formulation, la liberté est évidemment étroitement liée au concept de droit.
Le plus beau livre sur la liberté à été écrit en 1576 par Étienne de La Boétie (1530/1563) à l’âge de 16 ou 18 ans. L’originalité de la thèse soutenue dans cet ouvrage est de nous démontrer que, contrairement à ce que beaucoup s’imaginent quand ils pensent que la servitude est forcée, elle est en vérité toute volontaire. « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres » (13).
« Il n’y a point de mot qui ait reçu plus de différentes significations, et qui ait frappé les esprits de tant de manières, que celui de liberté. » Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1728/1755).
Pour Jean-Bernard Pouchous, la noblesse morale est une forme de liberté. Ce n'est ni un ordre social, ni une caste, ni un apanage mais une responsabilité et une vertu accessible, par l'éducation, à tout homme de toute condition. Grégoire de Nazianze (329/390) "Pères cappadociens" en son temps la divisait en trois genres : 1 - s'efforcer d'être ce que Dieu est censé attendre de nous. 2 - se purifier en résistant à la corruption de notre nature humaine. 3 - se cultiver et partager les dons que nous possédons. Gilles-André de La Rocque (1598/1686), Sieur de la Lontière, écrit dans son Traité de la noblesse que celle-ci ne donne point de droits mais bien des devoirs, dont un comportement désintéressé dans les activités humaines ou sociales, sans rechercher ni profit individuel, ni lucre, ni usure, ni prostitution, que ce soit dans la fonction publique, la justice, les forces armées, l'administration, les arts libéraux… Quant à la dignité, l'honneur, il provient surtout de la défense d'un honneur collectif, et non de la dépense ou du défi, et il est antinomique d'une attitude utilitaire et vénale. « Enfin il n’y a rien de plus noble en la Peinture lors qu’elle eft exercée fans trafic, comme il eft refolucy-deffus par Firmicus. » (14).
La liberté de création, pour un artiste, n'est qu'une simple facette de la liberté d'expression, créer et s'exprimer ne sont pas deux synonymes. L'expression vise l'acte de manifester ses idées et de les communiquer et la loi est la condition de la liberté.
« L’impulsion du seul appétit est esclavage, l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » Jean-Jacques Rousseau (1712/1778).
Les lettres F R E E s’agrandissent en direction d’une couronne de laurier en or d’où bondi, tous crocs dehors, un léopard. La couronne triomphale, également appelée couronne de lauriers, est une distinction honorifique d’origine antique symbolisant la gloire de celui qui la reçoit. Selon Ovide, Daphné nymphe de la mythologie grecque, qui fut le premier amour d'Apollon, le fuyait et allait, après une longue poursuite, être rattrapée, quand, au dernier moment, son père, le dieu fleuve Pénée, la métamorphosa en laurier. Dès lors, Apollon en fit son arbre et le consacra aux triomphes, aux chants et aux poèmes. Sous la République et l'Empire romain, la couronne de laurier est utilisée comme distinction honorifique décernée à un triomphateur. Composée de deux rameaux de laurier, elle est placée sur sa tête, en symbole de gloire, au moment de son acclamation par ses soldats comme imperator. Durant le défilé triomphale le long de la Via Sacra jusqu'au temple de Jupiter capitolin, une couronne de laurier en or était soutenue au-dessus de la tête de l’empereur par un esclave qui répétait la phrase rituelle memento mori : « souviens-toi que tu vas mourir ». Au Moyen Âge, la couronne de laurier est utilisée pour symboliser la gloire de la poésie et récompenser les grands poètes : on parle alors de « laurier poétique », et les plus illustres, comme Dante Alighieri (1265/1321), Pétrarque (1304/1374) ou Jean Boccace (1313/1375), sont traditionnellement représentés la tête ceinte de laurier.
Bête humaine.
Le Léopard bondi, tous crocs dehors à travers la couronne de laurier en or comme à travers un cercle de feu dans un spectacle de domptage. Félin solitaire et opportuniste, le léopard a une place importante dans certaines cultures africaines où l'animal, vu comme le roi des animaux, est l'attribut des chefs. La société secrète Aniota serait à l'origine de légendes sur les hommes-léopards, équivalents des loups-garous occidentaux.
Radio francophone Africa N°1, Patrick Nguema Ndong (48 ans), 2005 :
Afrik.com : Pourquoi les sorciers sont souvent malfaisants ?
Patrick Nguema Ndong : Si vous voulez faire du mal à quelqu’un dans le monde moderne, on vous voit faire. Si vous tuez quelqu’un par la sorcellerie, on ne vous trouvera jamais. Car ça se passe dans l’invisible. Seul un sorcier ou quelqu’un qui a le don de double-vue peut dire que tel a tué quelqu’un. Beaucoup de sorciers deviennent malfaisants, car ils savent qu’ils ne seront pas vus. Sauf par leurs pairs. Ils peuvent ainsi agir en toute impunité. Les « témoins » sont, par ailleurs, liés par un pacte de silence.
A.c : Comment expliquer le phénomène de la dissociation au profane ?
P.N.N. : Nous n’avons pas qu’un corps. Le yoga parle de corps astral, de corps mental, du corps causal… Les yogis font différents exercices, justement pour se servir de leurs différents corps. Ou du moins pour arriver à la conscience. Chaque corps à sa conscience particulière. Notre conscience humaine n’est pas liée au corps. Par exemple, quand nous sommes dans un sommeil profond, le monde n’existe pas… Nous ne sommes même pas conscients de notre existence. Donc la conscience est indépendante du corps, parce que pendant la nuit, elle n’a pas besoin du corps. Où est-elle ? Les gens ne se savent pas. Sauf les sorciers, qui se servent de leurs différents corps consciemment. Dans toutes les cultures chamaniques, en Afrique, chez les Indiens d’Amériques, ou en Asie, on prend en compte que le fait que l’homme peut sortir de leur corps. Il est étonnant qu’on ne s’intéresse pas à ça dans les cultures judéo-chrétiennes. Alors qu’ailleurs c’est la base de tout. L’homme n’est pas seulement le corps physique. Et c’est sur cela que beaucoup se basent pour dire qu’il existe une vie éternelle, puisque qu’on n’a pas besoin du corps pour vivre.
A.c : On entend souvent en Afrique parler de personnes qui se transforment en animaux. Comment peut-on expliquer cela ?
P.N.N. : Je n’ai jamais assisté à ce genre de transformation, mais je ne rejette pas le fait que cela puisse exister. Il y a eu des enquêtes au début du XX siècle et une résurgence dans les années 30 avec les Mao Mao (ethnie keyniane, ndlr). On a aussi beaucoup parlé des hommes léopards. Les Aniotos. C’était une secte fétichiste et anthropophage qui tuait des personnes en leur infligeant des blessures avec des griffes métalliques et en accusant les panthères. Ces gens-là faisaient croire qu’ils se transformaient en panthères pour aller tuer, alors qu’ils usaient d’artifices comme la cagoule en peau de panthère et des griffes métalliques. Mais à un tout autre niveau, le vrai sorcier aniota peut projeter sa conscience dans le corps d’une panthère, qu’il peut ainsi téléguider pour aller tuer quelqu’un. Ce principe est connu de tous, d’ailleurs à Libreville (Gabon, ndlr) nombreux sont les gens qui ne veulent pas voir un chat étranger venir dans leur demeure. Parce que le chat peut être la « caméra » d’un sorcier.
Les Aniotas, anioto ou anyoto, dits aussi hommes-léopards, sont les membres d'une société secrète africaine ayant une base de religiosité animiste. Cette société est réputée recruter ses cadres parmi les sorciers villageois sans pour autant revêtir la structure hiérarchisée d'une secte. Ils étaient actifs autrefois au Congo belge, dans la région des Babali du Haut Aruwimi et pratiquaient l'assassinat rituel en simulant une attaque de léopard, aussi appelé panthère, dont la motivation première serait la vengeance.
En 1931, Hergé (1907/1983) avec la bande-dessinée Tintin au Congo fit connaître au grand public et pérennisa le thème de la société secrète des hommes-léopards. La confrérie des Aniotas est aussi évoquée dans Tarzan et les hommes-léopards (Tarzan and the Leopard Men) de 1932/33. Bob Morane affronte des hommes-Léopards dans le roman La Vallée des brontosaures, publié en 1955 ainsi que lee personnage de bd Alix dans l'album de 1959, La griffe noire.
TEMPS
Dans Nulla sine merore voluptas, tombent de la gueule du léopard, une guirlande de réveille-matins à ressort mécanique de toutes les couleurs. Le kairos est un concept qui adjoint le temps à la destinée. Il permet de situer les événements selon cette dimension. Le dieu grec Kairos était un petit dieu ailé de l'opportunité, qu'il faut saisir quand il passe. Le kairos est le temps de l'occasion opportune, le moment, où tout bascule, point décisif, avec un avant et un après, l'instant T : « Avant est trop tôt, et après trop tard ». Instant d'inflexion : « Maintenant est le bon moment pour agir. »
« Passent les jours et passent les semaines, ni temps passé ni les amours reviennent. » Guillaume Apollinaire (1880/1918), Alcools, Le pont Mirabeau (1913).
Le prédateur pour se venger des outrages du temps rugit à travers sa couronne de laurier en or. Depuis, d’autres poètes, se livrent à une très curieuse opération : ils chantent le Peuple, la Liberté, la Révolution, etc., qui, d'être chantés sont précipités puis cloués sur un ciel abstrait où ils figurent, déconfits et dégonflés, en de difformes constellations. « Désincarnés, ils deviennent intouchables. Comment les approcher, les aimer, les vivre, s'ils sont expédiés si magnifiquement loin ? Ecrits, parfois somptueusement, ils deviennent les signes constitutifs d'un poème, la poésie étant nostalgie et le chant détruisant son prétexte, nos poètes tuent ce qu'ils voudraient faire vivre. En somme, toute la difficulté est que le rapport du réel aux images - dans la pièce, de l'insurrection au bordel - est dramatiquement contradictoire. Car dès que capturé par l'image, dès que saisi par la nostalgie du désir phantasme, le réel est crucifié, aboli. L'image est le meurtre du pur présent. Dans la pièce, nous le verrons, celui qui machine ce meurtre est le chef de la police. Il en résulte que, pour nous, s'avancer dans les images du temps présent est en grande partie tenter de saisir ce qui n'a pas d'image. Le présent du présent n'a pas d'image. Il faut désimager, désimaginer. La difficulté est que le pouvoir nu, qui se cache derrière la subtile plasticité et la séduisante obscénité des images du monde démocratique et marchand, n'a pas lui-même d'image, il est bien un réel nu, mais qui, loin de nous délivrer des images, en garantit la puissance. Le réel du pouvoir, comme pouvoir qui certes se tient dans le présent, mais n'est pas, lui, soumis aux images de ce présent : voilà ce qui se dissimule derrière l'imagerie démocratique contemporaine. » Jean Genêt (1910/1986), Le Balcon (15).
Il apparaît donc désormais chez certains « une volonté absolue d'imposer la vie comme valeur autonome », volonté qui pouvait aller jusqu'à la négation de l'âme et de sa survie. De toute manière, « l'homme prétendait posséder dans son propre mode d'agir une base suffisante pour son salut éternel (...). Au lieu d'un passage vite écoulé, la vie apparaissait comme une période toujours suffisante pour construire son propre salut ». Il se forme alors un idéal de vie pleine que la peur de l'au-delà ne menace plus. L'art de bien mourir « était, au fond, un sens nouveau du temps, de la valeur du corps comme organisme vivant. Il se ramène à un idéal de vie active qui n'avait plus son centre de gravité en dehors de la vie terrestre 50 ». « II n'exprime plus seulement comme autrefois l'élan vers une existence ultra-terrestre, mais un attachement toujours plus exclusif à une vie seulement humaine. » Au terme de l'évolution, les signes macabres disparaissent. « Les aspects bizarres des premiers contacts ont vite disparu, le visage et le sentiment humains de la mort sont restés.» Les humanistes du XVe. siècle ont remplacé les signes macabres par une présence intérieure de la mort : ils se sentaient toujours en train de mourir (16).
Cartellino.
L’œuvre d’Hans Holbein (1497/1543) intitulée Le marchand Georg Gisze, une huile sur bois de chêne (96,3 x 85,7 cm.) daté de 1532 est conservée à la Gemäldegalerie de Berlin, porte beaucoup d’écritures. Ce tableau représente Georg Giese (1497/1562) au Comptoir principal de la ligue hanséatique à Londres. Il est représenté avec trois œillets dans un vase. À l'époque, cette fleur symbolisait l'engagement et la fidélité conjugale. Son nom et sa qualité sont également indiqués par un papier fixé par deux morceaux de cire rouge sur le mur au-dessus de sa tête à gauche (un cartellino), qui précise qu'il est dans sa 34e. année, en 1532. Année du retour de Hans Holbein le Jeune à Londres. Thomas More (1478/1535), son patron d'antan, avait démissionné de ses fonctions et ne pouvait plus lui procurer de commissions. Le peintre s'est trouvé d'abord à rechercher des clients parmi ses compatriotes allemands. C'est en 1536 qu'il sera nommé peintre à la cour du roi Henry VIII (1491/1547). Giese tient dans les mains une lettre qu'il a reçue de son frère, écrite en Moyen-saxon (ou moyen bas allemand) et qui dit ceci : « Dem Erszamen/Jorgen gisze to lunden/in engelant mynem/broder to hande » (Pour être remis à mon frère, l'honorable Jorgen Gisze à Londres en Angleterre). À gauche de Giese, sous l'étagère, sa devise en latin est inscrite sur le mur : « Nulla sine merore voluptas », c'est-à-dire : « il n'y a pas de plaisir sans affliction ».
Nulla sine merore voluptas est le titre de cette œuvre de Jean-Bernard Pouchous, ce que l’on traduirait en français par « Il n'y a pas de plaisir sans affliction » pensée que l'on retrouvera en 1578 chez Pierre de Ronsard (1524/1585) : « Mais toujours le plaisir de douleur s'accompagne. » « Vivez si m’en croyez, n’attendez à demain. Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. » (17)
Une Statue d’Aristide Charles Louis Ronsard (1868-1946) se trouve dans le square Auguste-Mariette-Pacha à Paris 5e., devant le collège de France, Jean-Bernard Pouchous se souviens de ses cours de poésie au lycée et reprend un de ses poèmes dans le billet inspiré du tableau d’Holbein et collé en bas à droite de son œuvre :
Comme un chevreuil, quand le printemps destruit
L'oyseux crystal de la morne gelée,
Pour mieulx brouster l'herbette emmielée
Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit,
Et seul, & seur, loing de chiens & de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or près d'une onde à l'escart recelée,
Libre follastre où son pied le conduit ;
De retz ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est attainte,
D'un trait meurtrier empourpré de son sang :
Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage,
Le jour qu'un œil sur l'avril de mon âge
Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc.
Pierre de Ronsard, Sonnet XLIX
« Lorsqu'on regarde les œuvres des anciens, on n'a vraiment pas à faire les malins. Quels ouvriers admirables avant tout étaient ces gens-là. Ils savaient leur métier ! Tout est là. La peinture n'est pas de la rêvasserie. C'est d'abord un métier manuel et il faut le faire en bon ouvrier. » Paroles de Renoir (1841/1919), rapportées par Ambroise Vollard, dans La vie et l'œuvre d'Auguste Renoir, 1919.
Réveilles toi !
Dans la peinture intitulée Nulla sine merore voluptas de Jean-Bernard Pouchous, la représentation humaine est absente. Seuls deux animaux sont dans un environnement artificiel ou architecture et objets ont été modelés de mains humaines. Dix réveille-matins, comme autant de doigt dans les deux mains, vont sonner différents temps. Lequel sera le bon ?
« Le "Raphaël sans mains", ce mot pris au sens le plus large, serait-il dans le domaine du génie, non pas l'exception, mais la règle ? - Le génie n'est peut-être pas si rare ! mais il lui manque les cinq cents mains nécessaires pour maîtriser le Kairos, le "moment propice", pour saisir l'occasion aux cheveux ! » Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal.
En 2014, l’histoire de l’homme ne représente que 0,004 % de l’histoire de notre planète ! Si l’histoire complète de la Terre représentait une année, l’homme moderne arriverait le 31 décembre à 23h58. Certaines baleines vivant au large de l’Alaska ont plus de 200 ans, tandis que le roman Moby Dick (1851), écrit par Herman Melville, a été écrit il y a 163 ans. Les baleines qui sont nées avant la publication du célèbre roman Moby Dick vivent encore dans nos océans. En 1968, la population mondiale était de 3,5 milliards de personnes, tandis que notre planète compte en 2020 plus de 7 milliards d’habitants. Si vous êtes né après 1969, actuellement âgé de 45 ans, la population de la Terre a doublé pendant votre vie. David Eagleman (1971-…), neuro-scientifique américain, dit que chaque humain vit en fait 80 millisecondes dans le passé. Notre cerveau a en effet besoin de ce laps de temps pour créer une image compréhensible de notre monde. Nous ne vivons jamais vraiment le présent, mais toujours des moments du passé. Le Blockbuster "Star Wars" est sorti en 1977 en France. Cette même année, Hamida Djandoubi (1949-1977) était la dernière personne à passer sous la guillotine. Lorsque les mastabas (-6000) d’Egypte ont été construits, des mammouths foulaient le sol de notre planète. Si la plupart des espèces de mammouths se sont éteintes il y a 12 000 ans, certaines ont survécu jusqu’en 2000 avant J-C, tandis que les pyramides d’Egypte ont commencé à être construites plus de 1000 ans plus tôt, dans les années 2800 avant J-C (pyramides de Saqqarah). Les cours à Oxford ont commencé en 1096, puis l’université a été officiellement fondée en 1249. Les débuts de l’empire aztèque se situent entre 1250 et 1325 avec la fondation de Tenochtitlan, capitale de l’empire aztèque. L’université d’Oxford est plus ancienne que l’empire aztèque dont la chute à été provoquée entre 1519-21 par les conquistadors, soldats d’Hernán Cortés (1485-1547). En 2014, l’humanité a pris plus de 880 milliards de photos. 10 % de toutes les photos prises par l’homme l’ont été pendant les 12 derniers mois. L’humanité prend plus de photos en deux minutes qu’elle n’en a prises pendant tout le 19e siècle.
Qu’allons-nous faire de toutes ces photos en grands nombres ? Peut-être disparaîtront-elles comme les autres informations numériques par saturation du système, par implosion spatio-temporelle.
« L'appareil photographique est un peintre qui s'entend à dessiner et à modeler, n'est-ce pas ? - Henner : Ah ! si nous pouvions arriver à un pareil résultat. Connaissez-vous ce mot d'Ingres : « La photographie est une si belle chose, qu'il ne faut pas trop le dire. » Émile Durand-Gréville (1838/1914), Entretiens de J.-J. Henner (1878-1888).
Jean-Bernard Pouchous - 2021.
Bibliographie :
-1- Friedrich Hoölderlin, Hyperion, in Œuvres, éd. Gallimard, coll. La Pléiade, 1967.
-2- Voltaire, Le siècle de Louis XIV, éd. Folio, 2015.
-3- Jean Boccace, Le décamperons, éd. Le livre de poche, 1994.
-4- Okakura Kakuzô, trad. Corinne Atlan, Zéno Bianu, Le livre du thé, éd. Philippe Picquier, 2006.
-5- Nuccio Ordine, L’Utilité de l’inutilité, manifeste suivi d’un essai d’Abraham Flexner, éd. Les belles lettres, 2014.
-6- Philippe de Mézières, trad. Joël Blanchard, Songe du Vieux Pèlerin, éd. Pocket, coll. Agora, 2008.
-7- Plutarque, trad. Amyot, Gérard Walter, Les Vies des hmmes illustres, éd. Gallimard, coll. La Pléiade, 1937.
-8- Thomas Hobbes, Elementorum philosophiae sectio prima De corpore, éd. Vrin, coll. Textes philosophiques, 2000.
-9- Stéphane Ferret, Le Bateau de Thésée. Le problème de l'identité à travers le temps, éd. de Minuit, coll. Paradoxe, 1996,
-10- Jean Michel Platier, Le stylo en bandoulière : Maïakovski un idéal poétique, éd. Tribord Eds, coll. La Flibuste, 2005.
-11- Vladimir Maïakovski, trad. Andrée Robel, Lettre à Lili Brik, éd Gallimard, coll. L’Imaginaire, 1999.
-12- Vladimir Maïakovski, L’amour, la poésie, la révolution, éd. Le Temps des Cerises, 2011.
-13- Étienne de La Boétie, Laurent Gerbier, Raphaël Ehrsam, Discours de la servitude volontaire, éd. Flammarion, 2016.
-14- De Gilles-André de La Roque, Traité de la noblesse – De ses différentes espèces, éd. Mémoire & document, 2000.
-15- Jean Genêt, Le Balcon, éd. l'Arbalète, Décines, 1956.
-16- Philippe Ariès, L'homme devant la mort - I. Le temps des gisants, éd. du Seuil, 1977.
-17- Jean Céard,Daniel Ménager, Michel Simonin, Ronsard, œuvres complètes, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, t. I, 1993- t. II, 1994.