180 x 270 cm., A/T, 2021.
180 x 270 cm., A/T, 2021.
180 x 270 cm., A/T, 2021.
180 x 270 cm., A/T, 2021.
AÏON - N° 9
N°09-"ASILE", 2021, acrylique sur toile, 180 x 270 cm.
« [...] comment existerait-il même la possibilité d'expliquer quand nous faisons d'abord de toute chose une image, notre image ! » Nietzsche, Le Gai Savoir (1).
Le bonheur.
La peinture intitulée "Asile", représente un grand piano à queue style XVIIIe. siècle accompagné d’une banquette. L’imposant instrument de musique a été abandonné au centre d’une grande salle éclairée par quatre fenêtres à guillotine style géorgien d’où filtre la lumière blanche d’un après midi pluvieux d’été anglais. Une moquette marron salle et usée recouvre un sol jonché de débris et de verre cassé. Sur les murs peints d’un beige fortement défraichi sont collés deux affiches de cinéma. A gauche celle de "DER HIMMEL UDER BERLIN" et à droite celle de "BLOW UP". Au-dessus du clavier du piano flottent les images en médaillon ovale de la tête de Guignol, du portrait en bronze de Montaigne, d’une poupée Kachina et le visage peint de Spinoza. La moitié avant du couvercle du piano est restée ouverte alors que sur sa queue est assis un ange ailé. Il pleure en se tenant la tête de la main droite dont le coude est appuyé sur une tête de mort tandis que sa main gauche tient une cravache. Peinte à la bombe, une flèche jaune/vert fluo indique la présence en bas à droite du tableau de deux quarts de meule d’emmental posés l’un sur l’autre. Des liasses de billets de banque et des pièces et lingots d’or ainsi qu’un dé ont été déposés dessus et dessous la banquette. En bas et à gauche du tableau marche la chouette de Minerve. Plus loin sont plantées quatre flèches et dans l’angle de la pièce a roulé une balle de tennis. A droite du tableau, dans l’angle des murs sont appuyés une chambrière de dressage équestre et un bâton.
Le décor de cette peinture est librement inspiré d’une représentation de l’Asile abandonné par Dan Marbaix d’Odins Raven : « J'ai visité West Park pour la première fois il y a six ans... Asile l'hôpital psychiatrique désaffecté de West Park, en Angleterre. Onzième et dernier grand hôpital pour malades mentaux autour de Londres, l'asile de West Park, bâti de 1912 à 1914, a ouvert ses portes en 1921. Véritable petit village indépendant, relativement isolé dans la lointaine banlieue londonienne, il accueillit jusqu'à 2000 patients dans les années 1960. Après l’avènement de la camisole chimique, la politique de Margaret Thatcher "Care in the Community" déclencha la fermeture massive de nombreux asiles dans le pays, et vit la "libération" dans la nature de nombreux internés. »
Un hôpital psychiatrique aussi appelé asile d'aliénés, voir asile de fous, est un établissement spécialisé dans le traitement de troubles mentaux sévères. Vers 7/8 ans Jean-Bernard Pouchous a visité l’Hôpital de Lesvellec à Saint-Avé dans le Morbihan, où un de ses oncles travaillait. Il avait ainsi brutalement pris conscience de ce que pouvait être la maladie mentale nécessitant un internement physique aux enfermés psychiques. Au sens du mot grec psyché signifiant « âme, souffle de vie » dont le papillon, qui a une durée de vie si courte en est l'un des symboles.
Enfant, comme il est compliqué de comprendre ce qu’est la cognition ! Cet ensemble des processus mentaux indispensables qui se rapportent à la fonction de connaissance et mettent en jeu la mémoire, le langage, le raisonnement, l'apprentissage, l'intelligence, la résolution de problèmes, la prise de décision, la perception ou l'attention. Et puis on apprend que ces processus cognitifs ont été mis au jour par un petit groupe de psychologues de Harvard dans les années 1955/60, notamment autour de Jérôme Bruner (1915/2016) et de George Miller (1920/2012) dans ce qui a été désigné comme la « révolution cognitive ». Critiques vis-à-vis des échecs du béhaviorisme d'alors qui interdisait toute hypothèse sur le fonctionnement mental, ils vont, au contraire, en actifs témoins de la cybernétique naissante, modéliser le fonctionnement de la pensée sous forme de régulation permanente entre perceptions et actions et l'unifier, en termes d'apprentissages informatifs et adaptatifs, à l'ensemble des processus mentaux, y compris les émotions et la fonction affective, traditionnellement séparée des processus de (re)connaissance et supposée réservée (à tort) aux uniques thèses psychanalytiques. Le terme cognition peut tout également être utilisé pour désigner non seulement les processus de traitement de l'information dits « de haut niveau » tels que le raisonnement, la mémoire, la prise de décision et les fonctions exécutives en général mais aussi des processus plus élémentaires comme la perception, la motricité ainsi que les émotions. Par exemple, selon le neurologue António Damásio (1944/…), dans son livre L'erreur de Descartes, les émotions font partie des fonctions cognitives car le raisonnement et la prise de décision ne peuvent pas se faire sans les émotions.
Adolescent, il est difficile de comprendre ce que sont les actions d'un être vivant, son comportement ! Plus tard on apprend que le mot a été introduit en psychologie française en 1908 par Henri Piéron (1881/1964) comme équivalent français de l'anglais-américain behavior. On l'utilise notamment en éthologie (humaine et animale) ou en psychologie expérimentale. Il peut aussi être pris comme équivalent de conduite dans l'approche psychanalytique. Le comportement d'un être vivant est la partie de son activité qui se manifeste à un observateur. Le comportement des animaux, humains et non-humains, peut être décrit comme l'ensemble des actions et réactions (mouvements, modifications physiologiques, expression verbale, etc.) d'un individu dans une situation donnée. Les comportements animaux sont contrôlés par leur système endocrinien et leur système nerveux. La complexité du comportement d'un animal est en étroite relation avec la complexité de son système nerveux. Plus le cerveau est complexe, plus les comportements peuvent devenir élaborés et ainsi être mieux adaptés à l'environnement. Bien que des êtres vivants sans cerveau soient parfaitement adaptés comme les bactéries. L'origine, la fonction et le développement des comportements dépendent à la fois des interactions avec l'environnement et de l'héritage phylogénétique de l'espèce. Les principaux comportements fondamentaux sont les comportements alimentaire, sexuel, maternel, social, d'agression, de défense ou fuite et d'inhibition de l'action lorsque la lutte ou la fuite est impossible. L'éthologie est la science qui étudie et décrit les comportements humain et animaux mais la psychologie comportementale met celui-ci au centre de ses études notamment via la physiologie et la neurobiologie qui étudient les phénomènes biologiques à l'origine de ces comportements. Les comportements peuvent être décrits comme innés ou acquis, conscients ou inconscients, et volontaires ou involontaires, automatiques ou contrôlés, etc.
Adulte, comme il est agréable de sentir ce qu’est l’affection ! Proche du sentiment d’amour, un sentiment positif, qui nous fait souhaiter le bien-être ou le bonheur d'autrui, voire nous pousse à y participer. On peut comparer l'affection à l'amitié ou la tendresse, et son expression à la bienveillance ou tout simplement à la bonté. Le psychologue américain Henry Murray (1893/1988) a développé une théorie de personnalité organisée en termes de motivations et de besoins. D'après lui, ces besoins psychogéniques fonctionnent majoritairement par l'inconscience, mais jouent un rôle majeur dans la personnalité des individus. Murray classifie ces cinq besoins d'affection : 1 - Affiliation : passer du temps avec d'autres individus ; 2 - Protection : prendre soin d'une autre personne ; 3 - Jeu : s'amuser avec les autres ; 4 - Rejet social : rejet d'autres individus ; 5 - Attention : être utile ou protecteur auprès des autres.
Sois et t’es toi !
Le bonheur serait donc un état ressenti comme agréable, équilibré et durable par quiconque estimerait être parvenu à la satisfaction de ses aspirations et désirs et éprouverait alors un sentiment de plénitude et de sérénité. La notion de bonheur traverse toute la pensée occidentale depuis Socrate (ve. s. av. J.-C.). Durant l’Antiquité les philosophes grecs, principalement Aristote (-340/-322) et Epicure (-342/-270) ; puis romains dont Cicéron (-106/63) et Sénèque (-4/65), s'interrogent sur les conditions qui relient ou au contraire opposent le bonheur (durable) et le plaisir (passager) ainsi que les circonstances requises pour que le bonheur ne soit pas seulement une expérience individuelle mais aussi collective. Le judaïsme puis le christianisme promeuvent l'idée qu'il n'est de bonheur absolu qu'au Paradis, duquel ont été chassés Adam et Eve, mais les deux religions stipulent qu'ici-bas, l'homme peut vivre dans l’Alliance (religion) en s'entretenant avec Dieu par la prière et en agissant de sorte à le servir. Alors qu'en Grèce le débat sur le bonheur se limitait à quelques philosophes, l’Eglise s'assigne pendant tout le Moyen Âge la tâche de propager cette idée de béatitude (euangélion, évangile, signifie « bonne nouvelle »). La fin du Moyen Âge (XIIe./XIVe. Siècle) renouant avec la pensée d’Aristote, Thomas d’Aquin (1225/1274) et Boèce de Dacie (1240/1284) puis Dante Alighieri (1265/1321), la philosophie n’est plus la « servante de la théologie » mais prend son autonomie. Et à la vita contemplativa, tournée vers Dieu, elle oppose désormais la vita activa, centrée sur les activités matérielles tandis qu'à la même époque se développe l’amour courtois. Aux temps modernes, dont la naissance coïncide avec la découverte de l’Amérique et les débuts de la colonisation, le monde cesse d'être associé au mythe de la création divine. Et quand avec Machiavel (1469/1527) la philosophie politique prend son essor, que le commerce international et le capitalisme se développent et que la vita activa prend toujours plus de place par rapport à la vita contemplativa, quand enfin, avec les progrès de l'imprimerie, les idées circulent davantage, la question du bonheur n'est plus seulement l'affaire de quelques intellectuels mais s'ancre dans les mentalités. Dès lors, la question du bonheur à la fois s'étoffe et se diversifie, évoluant dans le sens d'un matérialisme affirmé. Au XVI e. siècle, les premiers intellectuels humanistes (Erasme (1466/1536), Thomas More (1478/1535), Machiavel, Montaigne (1533/1592)…) s'intéressent à la façon dont les humains, sans se référer à la religion, réfléchissent à leur manière d'appréhender le monde (par la raison ou la sensibilité) et d'y évoluer dans les meilleures conditions. Au XVIIe. siècle, notamment avec Blaise Pascal (1623/1662) et Baruch Spinoza (1632/1677), la philosophie morale émerge et prend ses distances avec l'éthique chrétienne. Les penseurs occidentaux s'attachent à élaborer des doctrines visant à définir l'état de bonheur et préconiser les voies pour l'atteindre. A la fin du XVIIIe. siècle, « le bonheur est une idée neuve en Europe » dit Louis Antoine de Saint Just (1767/1794) au sens où le concept est totalement sécularisé et où se pose la question du « bonheur collectif ». La démocratie est alors pensée comme un moyen de l'atteindre par l'intermédiaire d’hommes politiques, les « élus », et plus globalement l'État, qui occupe dans l’imaginaire collectif une place de plus en plus comparable à celle qu'occupait l'Église jusqu'alors ; on parlera plus tard d’Etat-providence. Durant la seconde moitié du XIXe. siècle, Karl Marx (1818/1883) et Friedrich Nietzsche (1844/1900) désignent chacun le bonheur comme un concept occultant des réalités essentielles ; pour l'un la part des inégalités sociales « L'athéisme est une négation de Dieu, et par cette négation, il pose l'existence de l'homme. » Karl Marx, Manuscrits - 1844 ; et pour l’autre le fait que les humains endossent une lourde responsabilité morale depuis qu'ils affirment que « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? » Le Gai Savoir, livre troisième. Pour le premier, le bonheur est une valeur bourgeoise, qu'il faut transformer en facteur d'émancipation politique. Pour le second, le bonheur consiste en « une énergie vitale » qui pousse l'homme à accueillir avec joie tout ce qui advient, même le malheur.
Au XXe. siècle, la psychologie et la sociologie prennent le relai de la philosophie mais, après les ravages causés par les deux Guerres mondiales et la découverte des camps d'extermination, elles peinent à conceptualiser la question du bonheur. On parle alors de paix et de droits de l’homme. Selon la psychanalyse, ce qu'on entend généralement par bonheur résulte d'une volonté inconsciente et fébrile d'assouvir ses désirs, au point de considérer ceux-ci comme des besoins. Quand les pays industrialisés sont gagnés par le consumérisme et la multiplication des loisirs, la publicité devient un moyen d'attiser ces désirs et de propager l’idée que le bonheur se réduit à une simple question de confort matériel. Émerge alors le courant de la pensée positive : les arguments se multiplient, visant à démontrer que quiconque, à force de volonté, peut trouver en lui-même les ressources nécessaires pour conjurer tous les désagréments. On parle alors d’estime de soi, de développement personnel, de résilience… Pour ceux dont la volonté ne suffit pas, les neurobiologistes étudient les relations chimiques à l’œuvre dans le cerveau de façon à concevoir des traitements médicamenteux leur permettant de lutter contre des pathologies liées à la « vie moderne » : stress, burnout, dépression… Médicament phare des années 90, le Prozac a été surnommé « pilule du bonheur ». Il est vrai que cette thérapeutique à visée antidépressive est au 21e. siècle l'une des plus prescrites dans le monde.
Au début du XXIe. siècle, le nombre de textes sur le bonheur explose : non seulement en philosophie mais dans le domaine du management et chez d'innombrables « marchands de bonheur », au point que certains voient dans ce phénomène l'émergence d'une « industrie » et d'une « économie du bonheur ». Le thème du bonheur est partout : les Nations unies proclament la « Journée mondiale du bonheur », le Bhoutan institue le « Bonheur intérieur brut », les Emirats arabes unis créent un « ministère du bonheur », les grandes entreprises instaurent la fonction de « responsable du bonheur », certains scientifiques entreprennent de « mesurer le bonheur »... et l'on trouve même des militants de la décroissance défendre le principe d'une « sobriété heureuse ». La notion de bonheur est essentiellement mise en relation avec les conditions de travail : en janvier 2020, un sondage révèle que « 82% des salariés français estiment que l'entreprise est responsable de leur bonheur ».
Le mot bonheur renvoie donc à l'idée d'un état de contentement non seulement durable, permanent, mais pouvant aller croissant. « État essentiellement moral atteint généralement par l'homme lorsqu'il a obtenu tout ce qui lui paraît bon et qu'il a pu satisfaire pleinement ses désirs, accomplir totalement ses diverses aspirations, trouver l'équilibre dans l'épanouissement harmonieux de sa personnalité. » Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL).
« Tout à lieu, tout est là, et tout est phénomène Aucun événement ne semble justifié Il faudrait parvenir à un cœur clarifié. » Michel Houellebeck (1956/…), La poursuite du bonheur (2).
Zeitgeist signifie littéralement « esprit du temps » que nous traduirons en français par Imaginaire collectif. Ce terme emprunté à la philosophie allemande désigne « les grandes lignes de la pensée », les questions en débat et la sensibilité d'une époque. Le Zeitgeist se révèle par exemple dans le fait qu'une même découverte est faite quasi simultanément par des hommes qui travaillent de manière indépendante. Les expressions équivalentes esprit ou génie, du temps, des temps, de l'époque, du siècle, de l'âge, sont attestées à partir du XVIe. siècle. Elles expriment la notion que les pensées et les actions des hommes dépendent de leur environnement social, qui varie selon le lieu et le temps. Johann Gottfried von Herder (1744/1803), les traduit en l'allemand Zeitgeist au tournant du XVIIIe. au XIXe. siècle. Cette notion s'oppose à la philosophie idéaliste d’Emmanuel Kant (1724/1804), qui affirme l'existence d'idées immanentes, et à celle des Lumières qui voit dans les changements un progrès vers la vérité. L'idée de déterminisme social que véhiculent ces formules fonde des théories qui visent à en fournir l'explication. Émile Durkheim (1858/1917) en fait le champ d'études de la sociologie, le psychanalyste Carl Gustav Jung (1875/1961) élabore le concept d'inconscient collectif.
Boucle de rétroaction.
« La littérature, c'est le langage devenu langage ; la langue qui s'incarne. J'écris avec la respiration, pour découvrir le sacré, celui de la vie. Je crois être un romantique décidé, qui rend grâce à la mémoire. » Peter Handke (1942/…). « Comme j’aimerais pouvoir peindre que : La peinture, c'est le langage devenu langage ; la vision qui s'incarne. Je peins avec la respiration, pour découvrir le sacré, celui de la vie. Je crois être un romantique décidé, qui rend grâce à la mémoire. » Jean-Bernard Pouchous.
Sur les murs intérieurs de l’asile abandonné, peints d’un beige fortement défraichi, sont collés deux affiches de cinéma.
A gauche celle de "DER HIMMEL UDER BERLIN" (Les ailes du désir) sur laquelle est représenté l’ange Damiel qui vient de quitter notre terre où il s’était incarné pour l’amour d’une mortelle. En retournant au Ciel, il laisse un vide terrible. Ce film a été produit et réalisé par Wim Wenders (1945/…) et est sorti en salle en 1987. Conte allégorique montre l'incarnation d'un ange qui renonce au Ciel par amour pour une femme. L’action se déroule dans un Berlin divisé où des êtres invisibles et bienveillants donnent à entendre les monologues intérieurs des humains confessant leurs angoisses et aspirations. Leur quête d'identité est ponctuée par un récitatif reprenant en leitmotiv un poème de Peter Handke sur l'enfance perdue et retrouvée. Éclairé par Henri Alekan (1909/2001), le film est tourné pour moitié en noir et blanc dans une atmosphère mélancolique et fluide, procédé choisi pour représenter le monde insensible tel que le voient les anges. La couleur intervient dans un changement de rythme, rock, au début de la seconde et dernière partie, quand le désir humanise l'ange. L'acteur hollywoodien Peter Falk (1925/2011), interprétant son propre rôle, arrive dans le Berlin ouest d'avant la chute du mur pour jouer dans un film reconstituant la chute de la capitale nazie, en 1945. Il erre dans la ville sur la trace des souvenirs de sa feue grand-mère, juive. Les passants ne sont pas sûrs de reconnaitre l'inspecteur de la série télévisée américaine Columbo (1968/2003). L’ange Damiel joué par Bruno Ganz (1941/2019) et l’ange Cassiel joué par Otto Sander (1941/2013), invisibles, errent de leur côté à l'écoute des voix intérieures des habitants, « âmes mortes » enfermées dans leur quotidien et ses soucis, que ce soit la vieillesse, l'enfance, l'infirmité, le deuil, l'accouchement, le déménagement, le divorce... Depuis « les cieux au dessus de Berlin », ces esprits « messagers » documentent, tel le cinéaste filmant les vestiges de la ville, les désirs et angoisses secrètes des humains afin de témoigner de tout ce qui chez eux relève d'une démarche artistique et traduit une recherche de sens et de beauté. Présents depuis toujours, ils ont assisté, comme des enfants découvrant le monde, au début de la lumière, à la fin d'une ère glaciaire, à la formation des rivières, à l'apparition des animaux. Quand un premier homme est apparu, ils ont découvert avec lui le rire, la parole, la guerre... l'histoire. Le poète Homère (VIIIe. s. av. J.-C.) joué par Curt Bois (1901/1991), comme les aveugles, croit sentir parfois une présence qu'il ne soupçonne pas être la leur et rêve que cette histoire soit désormais celle de la paix. Préoccupé d'agir dans le monde, en quête d'un rôle inscrit dans une histoire, avide d'un présent qui ne soit plus l'éternité qu'il dénonce comme un « monde derrière le monde », Damiel éprouve la tentation de revêtir la condition humaine. C'est alors qu'il découvre une femme exilée, Marion jouée par Solveig Dommartin (1961/2007), qui est devenue, à la suite d'une séparation, trapéziste dans un cirque. Quand celui-ci est sur le point de fermer, elle est au bord du désespoir, devant réinventer une fois de plus sa vie. Touché par la grâce du corps féminin qui voltige au-dessus du public, sensible au concret des aspirations de l'âme endolorie de celle qui va perdre ses ailes, Damiel décide de renoncer à l'immortalité afin de pouvoir goûter auprès de Marion aux plaisirs des sens et de l'effort créateur. Pour ce faire, il obtient le secours de Peter Falk mais son destin ne sera fixé que par la seule décision de la femme.
A droite est collée l’affiche de "BLOW UP". Elle montre David Hemmings (1941/2003) en train de faire des photos de mode serrant entre ses jambes la pose couchée alanguie d’un mannequin de mode, peut-être Gillian Hills (1944/…) ? Blow-up est un film de Michelangelo Antonioni (1912/2007), sorti en 1966 et inspiré d’une nouvelle de Julio Cortazar (1914/1984) Las babas des diablo (Les fils de la Vierge). À Londres, dans les années 1960, Thomas, photographe de mode, après un reportage photo sur les sans-abris, passe la matinée dans un parc, et, attiré par la lumière, prend des clichés. L'endroit est presque désert, sauf un couple qui s'embrasse, que Thomas photographie de loin. La femme, Jane, jouée par Vanessa Redgrave (1937/…) s'aperçoit finalement de sa présence, et, très contrariée, lui réclame les négatifs ; mais Thomas s'esquive. Jane le retrouve dans l'après-midi, et va jusqu'à s'offrir à lui ; Thomas lui donne une pellicule, mais qui n'est pas celle qu'il vient d'utiliser. Il développe les photographies du parc, et réalise par agrandissements successifs qu'il a en fait été le témoin d'un meurtre. Il se rend de nuit sur les lieux et découvre le cadavre que ses photographies lui ont révélé. De retour chez lui, il trouve son atelier vide ; tous ses clichés et négatifs ont été volés. Par hasard, il revoit la femme, et la suit jusqu'à un club, où a lieu un concert de rock des Yardbirds (1963/1968). Lorsque le guitariste brise sa guitare et en jette le manche dans le public, il prend part à la mêlée qui s'ensuit et parvient à s'emparer de la relique, puis s'enfuit ; mais après avoir semé ses poursuivants, il finit par jeter ce morceau de bois qui s'avère inutile, tandis qu'il a perdu la trace de la femme, décidément inatteignable. Au petit matin, il retourne au parc pour photographier le cadavre, mais celui-ci a disparu...
Phénomène/noumène.
Au-dessus du clavier du piano flottent les images en médaillon ovale de la tête de Guignol, du portrait en bronze de Montaigne, d’une poupée Kachina et le du visage peint de Spinoza, inspirées de l’Hallucination partielle - Six images de Lénine sur un piano (1931), une huile sur toile (114 x 146 cm.) de Salvator Dali (1904/1982), conservée au musée national d'Art moderne du Centre Georges Pompidou à Paris. Un homme assis face à un piano sur le clavier duquel apparaît comme des feux follets six fois le visage de Vladimir Ilitch Lénine (1870/1924).
« Les marionnettes n'amusent que les enfants et les gens d'esprit. » Georges Sand (1804/1876).
Le premier médaillon représente le visage de Guignol ; la marionnette à gaine française créée à Lyon vers 1808 par Laurent Mourguet (1769/1844). Guignol peut désigner également par métonymie le théâtre de marionnettes comique dont le personnage principal, forme avec Gnafon et Madelon le trio récurrent des pièces du répertoire classique. À l'origine, ce théâtre de rue déroule un canevas improvisé non écrit qui servait de gazette locale humoristique.
Le deuxième médaillon représente le visage de la statue en bronze (1933) de Paul Landowski (1875/1961) représentant Montaigne assit et érigée en face de la Sorbonne, côté rue des Ecoles, dans le Square Paul Painlevé. Michel Eyquem de Montaigne, seigneur de Montaigne (1533/1592) est un philosophe, humaniste et moraliste de La Renaissance, ainsi qu’un écrivain érudit. Les Essais entrepris en 1572 et constamment continués et remaniés jusqu'aux derniers mois avant sa mort sont une œuvre singulière tolérée par les autorités puis mise à l’index par le Saint-Office en 1676. Ils ont nourri la réflexion des plus grands auteurs en France et en Europe, de Shakespeare (1564/1616) à Blaise Pascal (1623/1662) et René Descartes (1596/1650), de Friedrich Nietzsche (1844/1900) et Marcel Proust (1871/1922) à Martin Heidegger (1889/1976). Le projet de se peindre soi-même pour instruire le lecteur semble original, l’auteur y développe l'ambition de « se faire connaître à ses amis et parents » : celle d'explorer le psychisme humain, de décrire la forme de la condition humaine. S'il proclame que son livre « ne sert à rien » Montaigne souligne quand même que quiconque le lira pourra tirer profit de son expérience. Appréciée par les contemporains, la sagesse des Essais s'étend hors des barrières du dogmatisme, et peut en effet profiter à tous, car : « Chaque homme porte la forme entière, de l’humaine condition. » Le bonheur du sage consiste à aimer la vie et à la goûter pleinement : « C'est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir loyalement de son être. »
Le troisième médaillon représente une poupée Katsina-Vache-bleue, Sakwa-Waka-Katsina inspirée de celle de la collection du laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Cette petite sculpture est Hopi, qui, avec les Zuni, les Navajo et les Pueblo, sont les peuples les plus connus vivant dans le sud-ouest des États-Unis, principalement dans les États de l'Arizona et du Colorado. Descendants de la culture Anasazi, ancienne civilisation remontant au premier millénaire avant notre ère. Ces poupées figurent le panthéon de leur mythologie avec une multitude de dieux et de personnages. Elles sont utilisées lors de cérémonies au cours desquelles un véritable rôle théâtral leur est dévolu. Elles sont censées posséder les qualités et les défauts des êtres humains représentés par les danseurs masqués du festival où il y a plus de 400 Katsiman dans la culture Hopi (3). « Les indigènes, désespérés de perdre leur progéniture, obtinrent des katchina qu'elles restassent dans l'au-delà, en échange de la promesse de les représenter chaque année au moyen de masques et de danses. » Claude Lévi-Strauss (1908/2009).
Le quatrième médaillon représente le visage peint de Spinoza (1665) conservé à la bibliothèque Herzog August de Wolfenbüttel en Basse-Saxe. Baruch Spinoza (1632-1677) est un philosophe néerlandais issu d'une famille juive marrane portugaise ayant fuit l’Inquisition ibérique pour vivre dans les Provinces-Unies. En 1656, il est frappé d’anathème (herem) par la communauté juive d'Amsterdam. Habitant Rijnsburg puis Voorburg avant de s'installer finalement à La Haye, il gagne sa vie en taillant des lentilles optiques pour lunettes et microscopes. Il prend ses distances vis-à-vis de toute pratique religieuse, mais non envers la réflexion théologique, grâce à ses nombreux contacts interreligieux. Il est fréquemment attaqué en raison de ses opinions politiques et religieuses, et son Traité théologico-politique, dans lequel il défend la liberté de philosopher, sera censuré. Il devra aussi renoncer à publier de son vivant son magnum opus, l’Ethique. Il meurt de la tuberculose, ses amis publiant alors ses œuvres. En philosophie, Spinoza est, avec René Descartes et Gottfried Wilhelm Leibniz (1646/1716), l'un des principaux représentants du rationalisme. Héritier critique du cartésianisme, le spinozisme se caractérise par un rationalisme absolu laissant une place à la connaissance intuitive, une identification de Dieu avec la nature, une définition de l'homme par le désir, une conception de la liberté comme compréhension de la nécessité, une critique des interprétations théologiques de la Bible aboutissant à une conception laïque des rapports entre politique et religion. Après sa mort, le spinozisme connut une influence durable et fut largement mis en débat. L'œuvre de Spinoza entretient en effet une relation critique avec les positions traditionnelles des religions monothéistes que constituent le judaïsme, le christianisme et l’islam. Spinoza fut maintes fois admiré par ses successeurs comme Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770/1831) qui en fait « un point crucial dans la philosophie moderne » - « L'alternative est : Spinoza ou pas de philosophie ». Friedrich Nietzsche le qualifiait de « précurseur », notamment en raison de son refus de la téléologie. Gilles Deleuze (1925/1995) le surnommait le « Prince des philosophes » et Henri Bergson (1859/1941) ajoutait que « tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza ».
Tout rationalisme est une doctrine qui pose la raison discursive comme seule source possible de toute connaissance du monde. Autrement dit, la réalité ne serait connaissable qu'en vertu d'une explication par les causes qui la déterminent et non par la révélation divine. Ainsi, le rationalisme s'entend de toute doctrine qui attribue à la seule raison humaine la capacité de connaître et d'établir la vérité. Dans son acception classique, il s'agit de postuler que le raisonnement consiste à déterminer que certains effets résultent de certaines causes, uniquement à partir de principes logiques ; uniquement à partir de principes mathématiques résultent des hypothèses admises au départ. De plus, et en particulier, les principes logiques eux-mêmes utilisés dans le raisonnement ont été connus par déduction. Le rationalisme s’oppose à l’empirisme et à l’irrationalisme.
Oneiros.
La moitié avant du couvercle du grand piano est restée ouverte alors que sur sa queue est assis un ange ailé. Il pleure en se tenant comme affligé la tête de la main droite, dont le coude est appuyé sur une tête de mort, tandis que sa main gauche tient une cravache.
Dans La nuit sexuelle (4), Pascal Quignard (1948/…), nous rappelle que le mot grec eïdolon se dit en latin imago. Mais le mot latin imago traduit exactement le mot grec psychè dans son premier sens : la tête du mort. Pour le dire en grec les oneiros sont les idoles des dieux. Les psyché sont les eidolon des morts. On voit bien alors la distinction qu’il faut faire entre Hypnos et Oneiros, entre Sommeil et Rêve. Entre la petite image du sommeil porteur de songe qui s’apprête à hanter la tête du dormeur et la grande image du fantôme porté par le rêve, qui surgit, immense, somptueux, dans le monde du rêve et qui s’envole comme un oiseau au réveil. Il veut dire par là que le phasma, le fantôme, le phantasma, l’eidôlon, l’idole, le simulacrum, le simulacre est un double. Il vole comme une apparition. Il se déplace comme un fantôme. Ce sont toujours des doubles externes (venus d’ailleurs) qui volent autour de l’ici interne du corps qui dort étendu par terre.
Un putto est un angelot nu et ailé propres aux représentations artistiques. L'Ange qui pleure est un symbole fréquent de la statuaire funéraire. En France, c'est l'un des éléments les plus connus de la Cathédrale Notre-Dame d’Amiens. Il orne le mausolée du chanoine Guilain Lucas de Genville (mort en 1628), œuvre réalisée en 1636 par sculpteur amiénois Nicolas Blasset (1600/1659) qui travailla pour la cathédrale de 1630 à 1659. Reproduit sur des milliers de cartes postales, l'Ange fut envoyé à travers le monde par de nombreux soldats britanniques à leurs familles, lors de la Première Guerre Mondiale et la terrible bataille de la Somme, conflit qui coûta la vie à près d'un million d'hommes. Le petit Ange pleureur devient vite célèbre au-delà d’Amiens. L'enfant et le crâne, la vie opposée à la mort, brièveté de la vie, le visage semble si triste ! Compassion, miséricorde, commisération, symbole de l'enfance abandonnée, orpheline, enfermée dans la pierre ! Un mausolée situé juste derrière le chœur, face à l'entrée de la chapelle axiale est composé du tombeau d'Arnoul de la Pierre et d’un gisant du cardinal de La Grange (1325/1402). Ce monument funéraire abrite la dépouille de Guilain Lucas, « Noble et discret » dit son épitaphe. Dans la partie supérieure, le chanoine est représenté agenouillé face à une statue de la Vierge à l'Enfant. Entre le chanoine et la Vierge, au centre du monument, l’Ange est assis à même la dalle habité du chagrin des orphelins dont le chanoine s'était occupé en créant une Maison de Charité, également appelée École des enfants bleus.
« Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages » (1968) Michel Audiard (1920/1985).
Sandor Ferenczi (1873/1933) neurologue et psychanalyste hongrois, dans son Journal clinique du 3 juin 1932, décrit le Symptôme : « ACHETER paix et gentillesse par un excès d’offrandes, de tendresse ou de cadeaux d’argent. Peur, sans cela, d’être abandonné. Plutôt tout céder, DERRIERE CELA : explosions de colère si son attente de plaisir, très excessive, et sans réciprocité, n’est pas comblée par chaque objet et chaque personne. Première impulsion : détruire le monde qui n’est pas digne d’amour ! ensuite, sentiment d’angoisse, exagération de l’obéissance seulement pour échapper à l’angoisse. L’angoisse n’est-elle pas le sentiment de l’emprise de la pulsion de mort, un début de mort starvation ? » *. En anglais dans le texte, le mot signifie « La mort par la faim » (5).
Le rêve du nourrisson savant. Pour souligner l’opposition et la ressemblance entre adulte et enfant, Ferenczi, crée un oxymoron par le rapprochement imprévu des termes « nourrisson » et « savant ». « Nourrisson » est pour tous un synonyme de « non-savoir » ; l’accolage avec le terme « savant » est là pour mettre littéralement en exergue la contradiction présente à l’inconscient, car « l’ironie sert ici uniquement d’intermédiaire à des souvenirs plus profonds et plus graves de la propre enfance du sujet ». C’est la tendresse qui caractérise la demande sexuelle infantile, alors que la passion concerne celle de l’adulte. Actif, passif, savant, ignorant, tendresse, passion-autant de concepts qui cernent les différences entre sexualité infantile et sexualité adulte. » Gisèle Harrus-Révidi (6).
« le latent, (…) c’est de l’implicite, c’est-à-dire du manifeste - présent dans la chose dite, non derrière elle - mais que nous n’avons pas su déchiffrer du premier coup d’œil. Le latent est une évidence qui attend une mise en évidence » Jean Starobinski (1920/2019), La relation critique.
L’implicite latent c’est ce qu’a fort bien compris Gaston Bachelard (1884/1962), pour qui « l’imagination poétique consistait, non à former les images, mais bien au contraire à les déformer » Roland Barthes (1915/1980), Essais critiques (7).
Trou.
Dans le tableau de Jean-Bernard Pouchous, une flèche jaune/vert fluo a été peinte à la bombe pour indique la présence en bas à droite de deux quarts de meule d’emmental posés l’un sur l’autre. Au début des années 70, le peintre étudiait le livre du peintre Xavier de Langlais (1906/1975), Technique de la peinture à l’huile (8). Ce traité continuellement réédité rassemble des connaissances incontournables sur la peinture à l’huile, à l’œuf ou à tempéra, etc ; telles que les entendaient les anciens et une approche des nouveaux liants chimiques comme le vinyle et l’acrylique. « Pendant des années, j’ai eu ce tableau sous les yeux en arrivant pour travailler chaque matin ». Directeur de l’usine Entremont à Quimper pendant une trentaine d’années, Mikaël de Langlais (1932/…), vient de sauver de l’oubli la fresque (3 m sur 1,5 m.) qui ornait le hall de l’entreprise signée de Xavier, son père : « Lorsque j’ai su que les derniers repreneurs avaient l’intention de tout refaire, je me suis inquiété du devenir de la fresque et j’ai pris contact avec les propriétaires. Ils m’ont affirmé qu’ils ne voyaient pas d’inconvénient à ce que je récupère cette composition réalisée par mon père en 1968 et m’ont autorisé à la détacher du mur, il y a quelques mois ». Le père de l’artiste travaillait comme directeur technique pour la Société Entremont ; entreprise agroalimentaire reprise en 1948, à Annecy (Haute-Savoie) par trois frères : François, Marius et Edouard Entremont. Cette société transformait le lait (matière première) en fromage (produit fini), elle fabriquait particulièrement de l'emmental (fromage à pâte pressée cuite). À partir des années 1950, la société s’agrandit et les trois frères étendent leur activité dans l'Est de la France (principalement dans le Jura et la Haute-Marne) et en Bretagne à Malestroit en 1951 et à Quimper en 1964, où existait une forte production laitière.
« Sébastien Pouchous, mon père, m’avait raconté la réalisation d’une fresque pour l’usine de Quimper représentant un paysage de bord de l’océan avec phare propre au Finistère dont il était originaire. » Jean-Bernard Pouchous.
L’artiste, un stratège de l’Inconscient « Dire non, c’est, d’un point de vue dynamique, engager une esthétique du refus où ruses et sortilèges formels s’exaltent réciproquement. C’est aussi, d’un point de vue, cette fais, économique, reconnaître que l’esthétique du refus, travaillée en son fond par la libido démoniaque, se convertit en une réelle esthétique du désir, pour peu que l’artiste, acceptant les enjeux du combat, grisé mais impérieux, se mue en véritable stratège de l’inconscient. » Murielle Gagnebin (9).
A, A, A ! Ce type de paradoxe tire son nom des syllogismes dits "en barbara", (A-A-A = deux prémisses et conclusion universelles et affirmatives) : Le paradoxe de l’emmental en est le plus fameux exemple : « Plus il y a d’emmental, plus il y a de trous ; or plus il y a de trous, moins il y a d’emmental ; donc plus il y a d’emmental, moins il y a d’emmental. Le plein c’est le vide et vise et versa! »
L’artiste c’est pris la tête, il « En fait tout un fromage », « En fait tout en plat », il nous met la puce à l’oreille concernant le fromage, qu’il faut prendre dans son sens ancien de « plat travaillé et formé », comme dans « fromage de tête ». Une découverte fût capitale pour les fromagers, car elle leur permettrait d'avoir la maîtrise de la quantité de trous dans leurs produits. Ces corpuscules, lors du processus de fermentation, émettent des gaz à l'origine des trous, qui se retrouvent dans le produit final. La présence des trous est due à d'infimes particules de foin qui s'infiltrent dans le lait lors de la traite des vaches. Le mystère des trous dans certains fromages suisses a été résolu a annoncé, le 28 mai 2015, l'Agroscope (l'Institut des sciences en denrées alimentaires) de Berne.
Rappelons que le goût de l’Emmental est frais et agréable, fruité et peu prononcé, avec une odeur faible et légèrement piquante au nez. Ses « yeux » (appelés aussi « trous » ou « ouvertures ») sont ovales et réguliers, de la taille d'une noix et uniformément répartis. La croûte est grainée et parfois huilée, jaune paille à brun pâle, signée de la mention Savoie en rouge sur le talon. La pâte est jaune clair, son toucher fin et souple. Le moulage et le pressage vont donner sa forme à la meule, qui est régulière et cylindrique, légèrement bombée (après affinage), d’environ 75 kg et 75 cm de diamètre. La fabrication et l'affinage de l'Emmental de Savoie ne peuvent avoir lieu qu'en Savoie et Haute-Savoie. Pendant la période d'affinage se forment les fameux yeux et les maîtres fromagers « sonnent » le fromage avec un petit marteau pour estimer leurs dimensions. Elles passent successivement en cave froide (10 °C), tempérée puis chaude (23 °C). Les meules sont retournées régulièrement, lavées et rabotées. L'affinage est long de 75 jours minimum et peut durer jusqu'à 12 mois. La production d'une meule nécessite environ 850 litres de lait, soit la production quotidienne de quarante vaches. En Haute-Savoie, la première fruitière dont on ait la trace est celle de Viry datant de 182. Il serait donc le plus ancien des fromages français. Le terme Emmental, emmenthal ou encore emmentaler, vient du suisse alémanique « Emme » étant le nom d'une rivière et de « thal » signifiant « vallée ». Curieusement, c'est la Bretagne qui assure environ la moitié de cette fabrication ! Mais actuellement, et depuis 1999, la France est reconnue comme le premier pays producteur mondial de ce fromage, avec quelque 110 000 tonnes par an. La production industrielle totale européenne, quant à elle, avoisine 464 200 tonnes et représente à peu près 6 % de la collecte de lait de ces pays.
OR.
Dans le tableau intitulé Asile de Jean-Bernard Pouchous, des liasses de billets de banque et des pièces et lingots d’or ainsi qu’un dé ont été déposés dessus et dessous la banquette.
« L’argent ne fait pas le bonheur de ceux qui n’en ont pas. » Boris Vian (1920/1959).
« L’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! » Jules Renard (1864/1910).
« On dit que l’argent ne fait pas le bonheur. Sans doute veut-on parler de l’argent des autres. » Sacha Guitry (1885/1957).
« Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hazard » « Toute pensée émet un Coup de Dés » Stéphane Mallarmé (1842/1898).
Le jeu est « Toute activité réglée qui a sa fin en elle-même et ne vise pas à une modification utile du réel ». « Le jeu comme structure », Emile Benveniste (1902/1976), Deucalion n° 2, 1947.
1 - Le jeu est « une activité qui se déploie dans le monde, mais en ignorant les conditions du réel, puisqu'il en fait délibérément abstraction » ;
2 - le jeu ne sert à rien et se présente comme un « ensemble de formes dont l'intentionnalité ne peut être orientée vers l'utile » ;
3 - le jeu « doit se dérouler dans des limites et conditions rigoureuses et constitue une totalité fermée ».
Par ces différents traits, conclut Benveniste, « le jeu est séparé du réel où le vouloir humain, asservi à l'utilité, se heurte de toute part à l'événement, à l'incohérence, à l'arbitraire, où rien ne va jamais à son terme prévu ni selon les règles admises... » Benveniste a tendance à négliger les jeux de hasard, qui sont presque toujours jeux d'argent, et où le jeu n'est pas du tout sans conséquences sur la réalité, puisqu'il enrichit le joueur ou le ruine, si bien et dans de telles conditions que l'honneur le contraint parfois à se suicider. Selon moi, l'argent représente, aussi bien pour l'avare que pour le joueur, un élément sacré. Mais l'avare qui l'accumule sans oser y toucher l'idolâtre et, le retirant du même coup de la circulation, le soustrait à tout usage profane. C'est dire qu'il adopte à son égard le comportement du « sacré de respect ». Au contraire, le joueur qui le risque sans cesse, le traite suivant les lois du « sacré de transgression ». Caillois, L’homme et le sacré (10).
A gauche du tableau marche la chouette chevêche diurne de Minerve, symbole de la connaissance, de la sagesse, de la perspicacité et de l'érudition. Elle traversera d’un pas décidé la grande pièce du piano de l’asile abandonnée laissant l’ombre d’une clef de sol derrière elle. Cette clef montre la position du Sol sur une portée classique. Ecoutons alors le Piano Concerto en sol mineur (BWV 1058) de Jean-Sébastien Bach (1685/1750) la suivre dans cette folie.
L’art pictural réaliste est un jeu sacré. Servi par une intelligence aiguë et puissante, des dons d'expression et d'exposition peu communs, il rassemble et interprète les plus remarquables services rendus à la culture par l'un des instincts élémentaires de l'homme et celui qui semble de tous le plus impropre à rien fonder de durable ou de précieux : le jeu. Le droit, la science, la poésie, la sagesse, la guerre, la philosophie, les arts s'enrichissent, parce qu’ils naissent toujours de l'esprit ludique. Celui-ci en effet excite ou exerce selon les cas les diverses facultés ou ambitions, dont l'effort finit par produire la civilisation.
« Le jeu dans son aspect essentiel est une action libre, exécutée « comme si » et sentie comme située hors de la vie courante, mais qui cependant peut absorber complètement le joueur sans qu'il trouve en elle aucun intérêt ou en obtienne aucun profit; action, en outre, qui est accomplie dans un temps et un espace déterminés, qui se déroule dans un ordre soumis à des règles et qui donne naissance à des associations où règne une propension à s'entourer de mystère et à se déguiser afin de se séparer du monde habituel. » Johan Huizinga (1872/1945) (11).
Dans l’angle gauche de la salle du grand piano de l’asile de fous a roulée une balle de tennis.
Revenons à Blow-up, au petit matin, le photographe après avoir constaté la disparition du cadavre qu’il avait vu la veille, assiste à une partie de tennis mimée. Les mêmes mimes sont apparus dans une brève séquence au début du film. Se prenant au jeu, il fait semblant de ramasser la balle (inexistante) en-dehors du terrain, et la relance vers les mimes. Quand la partie reprend, les bruits de la balle se font distinctement entendre, tandis que le protagoniste lui-même disparaît.
Avec Blow-up nous avons vu que les agrandissements successifs d'une même photo sont révélateurs, ils permettent de voir toujours plus de détails qui n'apparaissaient pas de prime abord, et de dévoiler un secret. Cette opération est impossible techniquement, la limite absolue de la résolution du cliché étant rapidement atteinte. Le procédé d’agrandissement argentique est volontairement exagéré au-delà des limites du plausible, jusqu’à l’absurde quand le protagoniste va jusqu’à photographier un tirage déjà agrandi – et déjà flou – au lieu de partir du négatif, ce qui ne peut logiquement permettre d’en tirer davantage de détail. Parti-pris poétique plutôt réaliste, soulignant à quel point l’emballement autour d’un sujet qui focalise toute l’attention peut mener un individu à perdre contact avec la réalité, jusqu’à se persuader de voir ce que l’on veut voir. Cela souligne à quel point le point de vue d'un individu influe sur le sens donné à la réalité, au point de déformer considérablement ce qui est ou ce qui a été, même en présence de signes matériels en principe objectifs. Ainsi, l'ambiguïté est savamment maintenue quant au caractère réel ou imaginaire du meurtre. Thomas seul a vu - ou cru voir un mort. On appelle paréidolie (du grec ancien para-, « à côté de », et eidôlon, diminutif d’eidos, « apparence, forme ») un phénomène psychologique, impliquant un stimulus (visuel ou auditif) vague et indéterminé, plus ou moins perçu comme reconnaissable. Ce phénomène consiste, par exemple, à identifier une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée ou encore une tache d'encre, mais tout aussi bien une voix humaine dans un bruit, ou des paroles (généralement dans sa langue) dans une chanson dont on ne comprend pas les paroles. Blow-up en anglais peut aussi bien signifier « agrandir », s’agissant d’un cliché photographique, que « exploser », soit au sens littéral, soit au sens d’une soudaine explosion de colère, ou encore « exploser », dans le sens d’exposer un secret scandaleux, par exemple « bowing up a conspiracy ». L’expression idiomatique « blow up in someone’s face » signifie qu’un plan méticuleusement élaboré a mal tourné, tandis que « blow (something) (up) out of proportion » désigne le fait de fortement exagérer un fait.
Crions le Kao avec les Moundangs ou Gmbal chez les Mboums, Avousso chez les Boulou, Kal chez les Wolofs, Kalir ou Massir chez les Sérères, Dendiraagal chez les Toucouleurs, Kalungoraxu chez les Soninkés, Toukpê en Côte d’Ivoire, Rakiré chez les Mossis, cette étrange pratique sociale s'appelle aussi Sinankunya (ou Sanakouya) au Mali. Moyen sacré de cohésion et de réconciliation, il s’agit d’affrontements verbaux considérés comme des moyens de décrispation sociale. Sans conséquence aucune, se moquer ou s'insulter, entre habitants de telle région, de tel territoire entre certaines ethnies, entre familles, parents, et même cousins éloignés, semblent être parfois une obligation comportementale. La parenté à plaisanterie est une pratique sociale typiquement d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale autorise cette transgression des codes de bonnes conduite, on parle alors d'alliance à plaisanterie pour éviter toute folie collective autodestructrice.
« Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. » André Breton (1896/1966), La clé des champs (12).
Quatre grandes flèches sont fichées dans le sol rappellant par là que les objectifs de vérité, de vertu, et de beauté, n’ont pu être atteintes. La vérité concerne le tir sans volonté, elle transparaît par le son que produit la corde, l'arc et l’impact de la flèche dans la cible, on perçoit alors la limpidité du tir. La vertu de bonté implique une humeur égale quel que soit l’événement, être détaché de sentiments tels que l’envie, la colère, l'euphorie, la joie. Le but est de gérer les conflits internes et externes pour réaliser un tir correct. Ce but est atteint en particulier grâce à l'étiquette ou bienveillance. La beauté résulte des déplacements et mouvements harmonisés avec la respiration et par l’économie dans l’utilisation de la force, l'archer semblant ne pas prendre parti dans l'ouverture de l'arc.
Fin.
« La normalité n'est qu'une corde de funambule au-dessus des abîmes du normal. Quelle dose de folie se cache dans l'ordre habituel! » Witold Gombrowicz (1904/1969) (13).
Dans l’autre angle, à droite du tableau, dans l’angle des murs sont appuyés une chambrière de dressage équestre et un bâton. Le dressage est, en équitation, un art se définissant comme la mise en scène du couple cheval-cavalier, le cheval est « La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats. » nous dit Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707/1788). D’où la dérive naturaliste qui fit de l’éducation l'art de modifier les comportements, à partir de méthodes de conditionnement inspiré du dressage à la cravache et à la chambrière, long fouet, utilisé du le centre de la piste par le dresseur de chevaux non montés dans un manège. Il faut également entendre par dressage l'apprentissage d'un « métier » comme avec le chien, alors que pour les animaux sauvages, on parlera de domptage. Les animaux non domestiques sont entrainés alors, dès le sevrage, à l’obéissance humaine. Pour en arriver là, il faut que la crainte de la punition en cas de désobéissance soit forte.
Un ange philosophe peut-il dresser où dompter l’humaine bête ?
Leopold von Sacher-Masoch (1836/1895) est un historien et écrivain journaliste. Le mot masochisme est formé à partir de son nom. Son père est préfet de police à Lemberg, actuellement Lvis en Ukraine. Son enfance est marquée par une scène primitive. Il surprend, du fond de sa cachette, sa tante Zénobie qui humilie son mari, le frappe à grands coups de fouet. Lorsque Zénobie le découvre, elle l'empoigne et à son tour il est fouetté. En 1880, le psychiatre Richard von Krafft-Ebing (1840/1902) utilise le mot masochisme pour nommer ce qu'il considère comme une pathologie. Il rend ainsi le nom de Leopold von Sacher-Masoch célèbre en tant que concept. Lacan a tenté de démontrer que, en se faisant objet, en se faisant déchet, le masochiste vise à provoquer l’angoisse de l’Autre qu’il faut situer au-delà du partenaire du pervers, un Autre qui, ici à la limite, se confondrait avec Dieu. En fait, ce que l’on peut surtout saisir, c’est qu’il y a une pente de tout sujet vers le masochisme en ce que l’Autre, à qui nous posons la question de notre existence, ne nous répond pas. Dès lors, curieusement, le sujet suppose le pire et n’est jamais si assuré d’exister aux yeux de l’Autre que lorsqu’il souffre.
Il n’y a pas de médicament miracle. « Le masochisme peut régénérer mais devient destructeur quand il est infiltré par la pulsion de mort, il devient alors le siège de la mort » Ghislaine Duboc.
« Les conflits inextricables qui résultent de notre double idolâtrie sont la source principale de la violence humaine. Nous sommes d’autant plus voués à porter à notre prochain une adoration qui se transforme en haine que nous cherchons plus désespérément à nous adorer nous-mêmes, que nous nous croyons plus individualistes » (14).
Alors c’est l’Apocalypse maintenant - Apocalypse Now (15). C’est la fin ! This is the end !
The End, Jim Morrison (1943/1971), The Doors (1967).
(…)
This is the end, beautiful friend
This is the end, my only friend,
The end, it hurts to set you free,
But you’ll never follow me.
The end of laughter and soft lies
The end of nights we tried to die
This is the end.
(…)
C'est la fin, Sublime amie
C'est la fin, Ma seule amie la fin
Ça fait mal de te libérer
Mais tu ne m'aurais pas suivi
Fini de rire, de se mentir
Fini les nuits des tentatives
C'est la fin
Jean-Bernard Pouchous, 2021
Bibliographie :
-1- Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, éd. Gallimard, 1950.
-2- Michel Houellebeck, La poursuite du bonheur, éd. Librio, 2020.
-3- M.-E. Laniel-Le François, José Pierre, Jorge Camacho, Kachina des Indiens Hopi, éd. Danièle Amez, 1992.
-4- Pascal Quignard, La nuit sexuelle, éd. J’AI LU, 2009.
-5- Sandor Ferenczi, Judith Dupont, Michael Balint, Journal clinique : Janvier-octobre 1932, éd. Payot, 2014.
-6- Sandor Ferenczi, Préf. Gisèle Harrus-Révidi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant suivi de Le rêve du nourrisson savant et d’extraits du Journal clinique, coll. Petite Biblio, éd. Payot, 2004.
-7- Roland Barthes, Essais critiques, éd. Points, 2015.
-8- Xavier de Langlais, Technique de la peinture à l’huile, éd. Flammarion, 1959.
-9- Murielle Gagnebin, Pour une esthétique psychanalytique - L’artiste, stratège de l’Inconscient, coll. Le fil rouge, 1994.
-10- Caillois, L’homme et le sacré, éd. Gallimard, coll. Folio Essais, 1989.
-11- Johan Huizinga, Homo ludens, éd. Gallimard, 1988.
-12- André Breton, La clé des champs, éd. Pauvert, coll. Biblio esais, 1991.
-13- Witold Gombrowicz, Contes et romans, éd. Gallimard, 2018.
-14- René Girard, Je vois Satan tomber comme l’éclair, éd. Grasset, 2021.
-15- Apocalypse Now (3h. 02min.) - film américain réalisé par Francis Ford Coppola ( 1979). Adaptation libre de Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness) de Joseph Conrad (1899).