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40 F. - N° 11

N°11-"Alain’s pholies", 2014, acrylique sur toile, 100 x 81 cm.

« Le bonheur, c’est pas le droit de chacun, c’est un combat de tous les jours. » Orson Welles.

 

11- Adada

La peinture intitulée "Alain’s pholies" représente une jeune fille nue de face, qui nous regarde attentive, la tête légèrement inclinée. De sa main gauche elle cache pudiquement son pubis et de l’autre recouvre son sein gauche. Une fleur est plantée dans ses cheveux crépus au dessus de son oreille gauche. Cette jeune fille pourrait ressembler aux tahitiennes peintes par Paul Gauguin (1848-1903) comme dans son œuvre intitulée "Où vas-tu ?"  de 1893 conservée au Musée de l’Hermitage de Saint Petersbourg (1). Dans cette œuvre la jeune femme porte une fleur à l’oreille gauche ce qui serait le signe d’une disponibilité amoureuse. Les façons dont les femmes donnent à voir leur corps et sont regardées par les hommes implique des règles du jeu posant la question de la distance de l’individu nu à ses rôles sociaux (2).

Derrière ce nue et à gauche du tableau un cheval  hennit ou rit la bouche grande ouverte, les lèvres supérieures remontées sur ses incisives et la langue bien pendue.

Entre l’humaine et l’animal se déploie un grillage protégeant un panneau bleu indiquant : ACID RAIN Monitoring Site New Jersey Department of Environmental Protection et un logo montant un oiseau survolant une vague.

À droite en bas de la peinture figure une fleur de pavot rouge et rose.

En arrière plan, en fond, est représenté un petit pavillon de banlieue dont la façade blanche et la toiture de tuiles ocres se détachent sur un ciel rouge vif, entre couché de soleil et incendie. Cette façade de maison possède deux fenêtres cernées de briques et fermées de voilages gris entre lesquelles est fixée au mur une plaque commémorative indiquant : ICI A VECU DE 1917 A 1951 LE PHILOSOPHE ALAIN. Nous sommes au 75, avenue Emile-Thiébaut au Vésinet, commune des Yvelines (78) situé à 19 kilomètres à l’ouest de Paris.

Alain, de son vrai nom Émile-Auguste Chartier (1868-1951), est un philosophe, journaliste, essayiste et professeur. Son livre écrit en 1920 "Le système des Beaux-Arts" (3) montre qu’il fut en son temps et pour des générations d’élèves un maître par qui se figura l’indépendance de la pensée : «  Les idées ici proposées ne dépendent point de quelque idée supérieure d’abord posée, et ne conduisent même point à quelque notion commune qui puisse définir tous les arts en peu de mots. Au contraire je me suis attaché à marquer les différences, les séparations, les oppositions, me réglant ainsi, autant que peut se faire la critique, sur les œuvres elles-mêmes, dont chacune s’affirme si bien et n’affirme qu’elle. »

À l'approche de 14/18, Alain milite pour le pacifisme, pourtant à la déclaration de guerre il s'engage, ne supportant pas l'idée de demeurer à l'arrière quand les « meilleurs » sont envoyés au massacre. En 1916, il a le pied broyé lors d'un transport de munitions vers Verdun. Après quelques semaines d'hospitalisation et de retour infructueux au front, il est démobilisé en 1917. Ayant vu de près les atrocités de la Grande Guerre, il publie en 1921 son célèbre pamphlet "Mars ou la guerre jugée" (4).

Alain s’engage politiquement aux côtés du mouvement radical en faveur d'une république libérale strictement contrôlée par le peuple et en 1927, il signe la pétition contre la loi sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre, qui abroge toute indépendance intellectuelle et toute liberté d’opinion (5).

Jusqu'à la fin des années 1930, son œuvre sera guidée par la lutte pour le pacifisme et contre la montée des fascistes. En 1934, il est cofondateur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA). En 1936, une attaque cérébrale le condamne au fauteuil roulant. En 1939, l'entrée en guerre et la débâcle sont pour lui un effondrement, très affaibli, il connaît de 1940 à 1942 des années très sombres. C'est pour l'essentiel la relecture des grandes œuvres qui le ramène à l'écriture à la fin de la guerre et après la libération (6).

À droite du panneau ACID RAIN, entre la fleur de pavot et la tête du cheval, nous devinons une installation d’instruments de récolte d’informations atmosphériques. Ce sont ceux du "Monitoring Site"  de New Jersey Department of Environmental Protection  qui a été installé dans la cour de l’ancienne maison d’Alain. Ce site mesure les  précipitations anormalement acides appelées "pluie acide". Cette acidification est due à la présence dans l'atmosphère de gaz susceptibles de se dissoudre dans l'eau en formant des espèces acides. Il s'agit essentiellement des oxydes de soufre (SO2 et SO3) et d'azote (NO et NO2). Ces polluants réagissent dans l'atmosphère avec le dioxygène et l'eau pour former respectivement de l'acide sulfureux H2SO3 et de l'acide nitrique HNO3. L’action humaine sur l'environnement, les usines, le chauffage et la circulation automobile en sont les principales sources. L'acide chlorhydrique issu de l'incinération de certains déchets plastiques, et l'ammoniac généré par les activités agricoles contribuent également aux pluies acides. Les pays industriels ont été les premiers touchés ; les principales zones de production de polluants ont d'abord été les bassins miniers et industriels de l'hémisphère nord, dont la Ruhr, la Lombardie, les anciens pays miniers français et anglais et ceux de Chine et des États-Unis. Ces pluies endommagent les écosystèmes, en particulier la flore et les milieux aquatiques, ainsi que les bâtiments.

Notre cheval, en écologue politiquement incorrect, semble rire de toute cette installation scientifique. Il faut savoir que cet animal est doté d'un bon sens de l'équilibre, d'un fort instinct de fuite et de grandes aptitudes de visualisation spatiales, ils possèdent un trait inhabituel dans le règne animal, étant capables d'entrer en sommeil léger tout en restant debout. Considéré comme « la plus noble conquête de l'homme », présent dans les mythes, nombre d'encyclopédies et toutes les formes d'art, le cheval est, de tous les animaux, celui qui a le plus marqué l'histoire et les progrès de l'humanité.

Peut-être aussi que les effluves du pavot qui dilatent ses narines lui sont montées à la tête et provoquent son hilarité. Le pavot est une plante très résistante capable de pousser sur des terrains arides, voir délavés par les pluies acides. C’est une grande fleur solitaire, souvent très colorée, à quatre pétales satinés et légèrement froissés, à sépales caducs. Les étamines sont nombreuses. Le pistil est une capsule le plus souvent courte et renflée, portant à son sommet des stigmates disposés comme les rayons d'un cercle. Par incision du pavot on obtient une gomme blanche : l'opium. Celle-ci est transformée en morphine pour un usage médical ou pour un usage illégal lié au trafic de drogue. La morphine, peut elle-même être transformée en diacétylmorphine plus connue sous le nom d'héroïne…

En 1891, Paul Gauguin s’installait à Tahiti où il espérait pouvoir fuir la civilisation occidentale et tout ce qui est artificiel et conventionnel et enfin vivre dans la maison du jouir. Aujourd’hui, fini les antipodes, tout se passe au Vésinet devant l’ancienne maison d’Alain le pacifique.

Jean-Bernard Pouchous - 2014.

Annexe : "Alain", 2010, acrylique sur toile, 35 x 27 cm.

                Jean-Bernard Pouchous a étudié le portrait du philosophe Alain", dans une petite peinture préparatoire intitulée "Alain" que l’on retrouve dans la série Iconodule.

N°11-Bibliographie :

N°11-1- Gabriele Mandel Sugana, Tout l’œuvre peint de Gauguin, éd. Flammarion, coll. Classique de l’art, 1987.

N°11-2- Jean-Pierre Kaufmann, Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, éd. Pocket, 2001.

N°11-3- Alain, Le système des Beaux-Arts, éd. Gallimard, coll. Tel, 1983.

N°11-4- Alain, Mars ou la guerre jugée, éd. Idée NRF, 1969.

N°11-5- Alain, Propos sur le bonheur, éd. Folio, 1985.

N°11-6- Alain, Idées : Introduction à la philosophie, éd. Flammarion, coll. Champs Essais, 2010.

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