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Dingbat - N° 3

N°3-"Dualisme sur divan" contre "Monisme et conatus",  2012, acrylique sur toile, 195 x 160 cm.

« Quelle place laisser à Dionysos dans une civilisation totalement soumise à Apollon ? » Michel Onfray (1).

 

N°3 - A- Fusées.

La peinture intitulée "Dualisme sur divan" contre "Monisme et conatus", représente une scène gourmande, où deux femmes, se tiennent à quatre pattes sur un canapé, en tête-à-tête. Elles sucent un même cornet de glace à la vanille agrémentée de débris de noisette. La femme de droite est habillée de sous-vêtements composés d’un soutien-gorge, de porte-jarretelles rouge brodés de rose, jarretelles et bas. Elle tient le cornet de glace de la main gauche vers ses lèvres, son visage de profil laisse deviner une certaine satisfaction notamment par un certain rictus et le plissement de son œil gauche qui semble indiquer le plaisir du parfait connaisseur de crème glacée.  La jeune femme de gauche est vêtue dans le même style mais en noir brodé de rouge ; elle a le visage caché en arrière plan de sa complice mais on distingue bien qu’elle partage de la langue la même friandise.

La crème glacée est faite à partir de crème et de lait ; on y ajoute parfois du jaune d’oeuf, un arôme et/ou (depuis peu) un édulcorant comme le saccharose. Ne pas confondre avec une autre glace qui est le sorbet fait d’un mélange de sirop de sucre (50 % d'eau, 50 % de sucre) et de pulpe de fruit, ou d'un arôme, ou d'un alcool. La crème glacée et le sorbet sont deux desserts glacés appartenant à la catégorie glace.

Chacune de ces amateurs de crème glacée est venue avec sa poupée nue, ce sont des baigneurs en plastique, souvenirs d’une enfance qui s’attarde quelque peu. Sur le canapé de velours bleu nuit traînent quelques peluches (une vache et une tortue pirate). Objets adolescent qui se veulent personnelle mais ne sont que de grande consommation. Quelques fleurs, des Calla jaunes aux tiges bien ficelées dans une gaze blanche, semblent également oubliées là, comme le reste d’un bouquet de mariée ou de  décoration d’église.

Divers accessoires de supporters de foot sont posés ou accrochés à l’un des trois coussins du canapé ; celui de droite. Nous y reconnaissons une écharpe de l’équipe nationale du Portugal, un fanion du club anglais d’ARSENAL et un écusson du FC Monaco. Les équipements traditionnels du supporter de football (écharpe, maillot de l’équipe, drapeau, maquillage facial…) sont aux couleurs de l’équipe supportée. Ils sont arborés dans les stades, certains groupes sont équipés en plus de klaxons, vuvuzelas, mégaphones, trompettes, tambours, fumigènes, feux de Bengale, etc. Pour encourager leur équipe et montrer leur enthousiasme ou leur insatisfaction, les supporters crient, chantent, applaudissent, sifflent,  huent, en Amérique latine les supporters pratiquent la ola, les tifos ou encore la bronca. Nos deux jeunes femmes doivent faire partie d’une bande de supporters peut-être des tifosi, des hinchas, des socios ou des torcida…

La jeune-femme de gauche, tient dans sa main droite une plume d’autruche bleu outremer.

« La belle plume fait le bel oiseau :

 Noble outremer chéri-i-i-i-i

 Je te laisse les plumes d’autruches des filles
Plantées dans le cul de tes bleus océan…»

Oh ! On distingue entre les cuisses de cette même jeune femme une kalachnikov de type AK-47 bleu dont le canon est dirigé vers l’entrejambe de sa compagne du divan. Plus de 100 millions d’exemplaires de ce fusil d’assaut russe furent construits depuis la dernière grande guerre mondiale, pendant l’époque soviétique, la guerre froide et jusqu’à 2010 (2). Ce serait étonnant qu’elle n’ai pas toute servi à tuer !

En arrière-plan du vaste canapé bleu s’ouvre le décor d’une architecture industrielle. Il s’agit du fronton de l’entrée d’une usine de fabrication de crème glacée, reconnaissable immanquablement par l’érection à sa gauche, d’un monumental cornet factice sensé imiter le célèbre cône de pâte gaufrée moulée de toute glace digne de porter ce nom. La sculpture est surmontée comme il se doit de deux boules de glace tout aussi factice, une rouge, l’autre blanche, pour évoquer les arômes les plus prisés comme la framboise et le citron.

Sur ce fronton sont écrits, en caractère de néon de couleur, le nom de la marque  « Snolgreve », en jaune-vert fluo. En dessous s’alignent, en plus petites lettres le slogan : « This is Europea’s Finest Dualistic Store » en bleu-violet fluo. On distingue à gauche du fronton une horloge circulaire dont les aiguilles indiquent 5H05 et encore plus à gauche on devine une partie des bâtiments de l’usine dont un mur est surmonté d’une caméra de vidéo-surveillance.

Deux fusée-sondes "Black-Brant" canadiennes (3) sont tirées de la fabrique de produits alimentaires dans un nuage de fumée orangée. Elles s’arrachent de l’attraction terrestre, l’une suivant l’autre, vers l’espace au-delà du tableau, la puissance de feu emporte dans un tourbillon ascendant, le feuillage des plantations alentours.

Une fusée-sonde n’est pas un engin de guerre mais une fusée qui devait explorer la haute atmosphère et favoriser la recherche en micro-gravité, elle décrivait une trajectoire sub-orbitale permettant d’effectuer des mesures et des expériences comme les première photographie de la terre et de la lune réunies dans le grand vide noir de l’espace infini. Les informations une fois recueillies revenaient sur le plancher des vaches en parachute et c’est ainsi que l’humanité a pu prendre pour la première fois un peu de recul sur sa condition de terrien.

Au fond le ciel est sombre, bleu-nuit. Des formes, dans différents tons de gris bleus, y dessinent l’apparition d’une tête de mort. Cette évocation mystérieuse est inspirée du "Crâne dit de Paris", une petite sculpture en quartz limpide d’une grande pureté mesurant 11 cm de haut et pesant 2,8 kg, conservée au Musée des Arts Premiers, à Paris. Les amateurs d’ésotérisme lui prêtent une origine surnaturelle, ainsi que des pouvoirs de guérison physique et spirituelle et les adeptes du "New Age" croient en son pouvoir mystique pour délivrer à l'humanité une vérité intemporelle. Journalistes, scientifiques, archéologues, chasseurs d'ovnis, médiums, shamans enquêtent sur cette étrange tête de mort. En fait, ce crâne fut offert par l’explorateur Alphonse Pinart (1852/1911) en 1883 au Musée d’ethnographie du 

Trocadéro à Paris, futur Musée de l’Homme du palais de Chaillot, aujourd’hui disparut et transmuté en Musée des Arts Premiers sur le Quai Branly. Fils d'un riche maître de forges, il dépensa la fortune familiale et celles de ses deux épouses dans l'exploration de l'Amérique et l'achat d’objets et de livres en rapport avec ses spéculations savantes. Ce curieux objet a inspiré romancier et réalisateur comme Steven Spielberg (1946/…) avec "Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal" ("Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull", 2008) (4).  et même de bande  dessinée. La légende est tenace : le "Crâne dit de Paris", comme celui de Londres (British Museum) d’ailleurs, auraient été donnés aux anciens peuples par les Atlantes, voire par une civilisation extraterrestre. Au nombre de 12, les crânes seront rassemblés lorsque l'Humanité sera prête (5). Ces crânes ont longtemps été considérés comme un chef-d’œuvre aztèque représentant Mictecacihuatl, reine de l’inframonde, « dame de la mort », la divinité qui veillait sur les os des défunts. Mictlantehutli est le lieu mythologique de la mort, lieu le plus bas de l’inframonde où elle a été enfermée par Tezcatlipoca et Quetzalcoatl en mettant en ordre les éléments. Le culte de Mictlantehutli impliquait des sacrifices humains et des actes de cannibalisme. Le "Crâne dit de Paris" est actuellement dans la collection du musée du quai Branly mais il est considéré comme un faux précolombien. Fourni par l’antiquaire Eugène Boban (1834/1908) à Alphonse Pinart de qui ce dernier tenait une partie de sa collection, le crâne, fut probablement fabriqué en Allemagne entre 1867 et 1886 avec une technologie du dix-neuvième, à partir de quartz brésilien.

 

N°3 - B- Dingbat : "O naviguer O" - « Naviguer entre deux eaux ». En effet, le mot naviguer est entre deux O.

« Caresser quelqu'un dans le sens du poil »« II a eu la main heureuse » (fonction de plaisir tactile)

« Tu me fais suer » (fonction d'élimination)

« C'est une peau de vache »« Se faire crever la peau » (fonction défensive-agres­sive)

« Entrer dans la peau d'un personnage »« Faire peau neuve » (fonction d'identi­fication)

« Toucher la réalité du doigt » (fonction d'épreuve de la réalité)

« Entrer en contact »« Mon petit doigt me l'a dit » (fonction de communication)

« De nombreuses expres­sions du langage parlé font référence à la plupart des fonctions conjointes de la peau et du Moi. Deux mots ayant des sens flous et multiples désignent la résonance subjective des choses en nous, ils réfèrent à l'origine un contact avec la peau : sentir et impression. » Didier Anzieu - Le Moi-peau (1).

« Snolgreve »

Sur le fronton de l’entrée de l’usine, sous le nom de la marque est écrit en lettre de néon : « This is Europea’s Finest Dualistic Store », ce qui pourrait se traduire en français par « Voici le plus fin magasin de dualisme d’Europe », ce qui induit une des raisons pour laquelle cette peinture est intitulée "Dualisme sur divan" contre "Monisme et conatus".

Deux boules, deux jeunes femmes, deux baigneurs…

Par manichéisme, on pourrait dire que le personnage de gauche représente le "Dualisme sur divan" et que le personnage de droite le "Monisme et conatus" et qu’il s’affronte. Cette vision archaïque, primaire, sans nuance, voire simpliste, où le bien et le mal sont clairement définis et séparés, nous éloigne de la vérité, de la réalité.

Le dualisme pose deux principes irréductibles et indépendants, qu'il soit particulier ou général, il pose le problème logique de sa solution.

Comment concilier les deux entités distinguées ? Plusieurs dualismes invitent à chercher des correspondances ; certains sont-ils réductibles à d'autres ? La dialectique des dualismes peut-elle être un chemin pour parcourir l'histoire des idées ?

Esprit et matière (Descartes), fond et forme (gesltat), scientifique et utopique (Marx), objets et choses (Latour), idéalisme et matérialisme, objectivisme et subjectivisme (Hume), logos et praxis, être et néant (Sartre), essentiel et accident, contingent et nécessaire (Aristote), être et paraître (Husserl), vérité et apparence, être et agir (Lévinas), être et avoir (Erich Fromm), autonomie et commande, lois et jurisprudence… autant de dichotomie qui nous déchirent en monologues incessants pour retrouver l’intégrité de notre être, la conformité à soi-même. Effort qui nous tord de douleur sur le divan du psychanalyste. Notre culture platoniste ou monothéiste suppose l'existence d'un monde d'idées face à un monde matériel, ces deux mondes ne pouvant être que de natures différentes et dissociées.

En tant que doctrine le dualisme est opposé au monisme, notion philosophique, selon laquelle tout ce qui existe – l'univers, le cosmos, le monde – est essentiellement un tout unique, donc notamment constitué d'une seule substance.

« Le Tao engendre Un »

Dans la philosophie chinoise, le Tao est donc placé en amont de l'Un absolu qui est tout ce qui existe. Mais si le Tao est "avant" Un, le Tao est donc … zéro, néant, vide, vacuité … Le Tao est purement immatériel, donc spirituel. Le spirituel précède et engendre le matériel. Le Noûs précède et engendre le Cosmos. L'Esprit précède et engendre le Monde (2).

« Deus sive Natura », ce qui signifie « Dieu c’est-à-dire la Nature », Baruch Spinoza (1632-1677) affirme clairement au livre III de "l'Éthique" que "l'esprit est l'idée du corps". Spinoza ne pose pas deux substances, mais une seule, ce qui est bien le sens métaphysique du « Deus sive Natura ».

On doit à ce philosophe opticien-lunetier néerlandais, d’origine marrane (3), une deuxième illumination fulgurante et puissante : celle du "Conatus". Toute chose qui existe effectivement ou « réellement et absolument » fait l'effort de persévérer dans son être, c’est la puissance propre et singulière de tout "étant" à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter, sa puissance d'être.

« L'effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n'est rien de plus que l'essence actuelle de cette chose. » - Spinoza, Éthique III, Proposition VII (4).

Une passion joyeuse, comme une rencontre heureuse avec une chose (aliment) ou un être, va inciter à renouveler ce sentiment heureux, et va, par conséquent, avoir un rôle moteur chez l’individu : il devient dynamique, c’est la manifestation du conatus. Il va à présent chercher des situations heureuses pour renouveler ce sentiment de puissance et en même temps, l’accroître.

D’où, le foot, sport populaire bruyant, car avec une règle du jeu qui instaurerait autant de ballons que de joueurs, il n’y aurait plus de jeu, plus de joueurs, plus de supporters, etc, donc plus de conatus, plus d’activité, plus de recherche de ce qui va accroître la puissance de l’individu, comme principe d’individuation et peut-être même de subjectivation.

 

N°3 - C- Noûs.

Dans la peinture intitulée "Dualisme sur divan" contre "Monisme et conatus", le personnage de droite qui symboliserait "Monisme et conatus" ne peut donc s’affronter à celui de gauche, matérialisant le "Dualisme sur divan", car ils sont uns, Noûs, c’est-à-dire Nous ou encore Noos. C’est pourquoi le cornet factice monumental symbolisant la production alimentaire de l’usine contient deux boules de glace aux parfums différents (l’un au citron et l’autre à la framboise) et que le cornet tenu par le personnage de droite ne contient qu’un parfum (vanille) à partager entre "Monisme et conatus" et "Dualisme sur divan".

En fait le personnage de droite, plus âgé est en train d’initier le personnage de gauche à la dégustation d’une glace, dans la position "à quatre pattes", sur un divan. L’un a donc un ascendant sur l’autre lié à ses connaissances dans le domaine et à ses qualités pédagogiques. L’essentiel de l’apprentissage est véhiculé par mimétisme et imitation de comportement et geste dans l’action. C’est du vécu immédiatement transmissible grâce aux fonctions conjointes de la peau et du Moi. Cette résonance subjective des choses en nous, se réfère à l'origine au contact avec la peau : sentir et impression nous crées. C’est le désir qui produit les valeurs et non l’inverse.

« On ne désire pas une chose parce qu’elle est bonne, c’est parce que nous la désirons que nous la trouvons bonne. » - Spinoza, Éthique III.

Notre divan est habillé de velours bleu, avec six coussins pour 3 places assises.

Est-ce un vrai divan ?

Banquette, canapé, divan ou sofa sont tous des sièges fait pour plusieurs personnes. Une banquette est une sorte de banc rembourré sans bras, ni dossier, alors que le canapé se distingue par un dossier et un appuie-bras de chaque côté. Lorsqu’un canapé est transformable en lit, il se nomme "convertible", "canapé-lit" ou "clic-clac" ou encore "divan-lit" au Québec. Mais le terme sofa s’utilise lorsqu’il y a trois places assises.

Est-ce un vrai divan ?

Banquette, canapé, divan ou sofa sont tous des sièges fait pour plusieurs personnes. Une banquette est une sorte de banc rembourré sans bras, ni dossier, alors que le canapé se distingue par un dossier et un appuie-bras de chaque côté. Lorsqu’un canapé est transformable en lit, il se nomme "convertible", "canapé-lit" ou "clic-clac" ou encore "divan-lit" au Québec. Mais le terme sofa s’utilise lorsqu’il y a trois places assises.

Le divan fait son apparition en France que vers la fin du XVIII e. siècle avec l’arrivée du courant orientaliste. Il désigne originellement une salle garnie de coussins et d’un sofa où se réunissait le conseil du sultan. Par extension il désigne dans une maison orientale une salle garnie de coussins servant à la réception des hôtes. 

L’historien Ibn Khaldoun (1332-1406), dans "Le Livre des Exemples", livre précurseur de la sociologie moderne dit que le mot divan viendrait du perse : « C’est ce qui a fait dire à Khosrô, lorsqu’il a remarqué la perspicacité et l’intelligence de ses secrétaires : « Dîvâneh », c’est-à-dire qu’ils sont des démons et des fous… De là dérive le mot dîvân, qui désigne les secrétaires. » Tome 1, Muqaddima V, XXXII (1).

Ibn Khaldoun a une conscience aiguë du destin universel, du passé du monde, de ses tendances profondes, il est peut-être l’inventeur d’une science de la société humaine qui préfigure les sciences sociales modernes, anthropologie et sociologie.

Aujourd’hui le divan est devenu une sorte de canapé sans dossier et accoudoirs, agrémenté de coussins et pouvant éventuellement servir de lit. Le divan quand il est un siège relativement bas et allongé sans bras ni dossier est couramment associé à la psychanalyse.

Lors de la cure psychanalytique, le patient s’allonge sur un divan, il ne voit pas son analyste. Ce dispositif, inauguré par Freud, permet de valoriser l’expression verbale, moyen privilégié d’une prise de conscience et d’une élaboration fondant le travail de cure et visant la suppression du symptôme névrotique (perlaboration), inhérents au processus psychanalytique.

En psychanalyse l’élaboration psychique désigne le processus de symbolisation, de travail psychique associatif, qui se fait dans la cure, et qui permet de maîtriser les excitations. Le trouble psychique est dû à un manque d’élaboration et la cure doit apporter une "surface" adaptée à un regain de travail psychique, travail associatif, travail de reconstruction : le patient « établit des liens », il se remémore, donne du sens aux évènements de sa vie.

Voilà ce que disait Freud à ses patients en préambule à une séance de libre association :

« Une chose encore et avant que vous ne commenciez. Votre récit doit différer, sur un point, d’une conversation ordinaire. Tandis que vous cherchez généralement, comme il se doit à ne pas perdre le fil de votre récit et à éliminer toutes les pensées, toutes les idées secondaires qui gênerait votre exposé et qui vous ferait remonter au déluge, en analyse vous procédez autrement. Vous allez observer que, pendant votre récit, diverses idées vont surgir, des idées que vous voudriez bien rejeter parce qu’elles ont passé par le crible de votre critique. Vous serez alors tenté de vous dire : « ceci ou cela n’a rien à voir ici » ou bien : « telle chose n’a aucune importance » ou encore : « c’est insensé et il n’y a pas lieu d’en parler ». Ne cédez pas à cette critique et parlez malgré tout, même quand vous répugnez à le faire ou justement à cause de cela. Vous verrez et comprendrez plus tard pourquoi je vous impose cette règle, la seule d’ailleurs que vous deviez suivre. Donc, dites tout ce qui vous passe par l’esprit. Comportez-vous à la manière d’un voyageur qui assis à la fenêtre de  son compartiment, décrirait le paysage tel qu’il se déroule à une personne placée derrière lui. Enfin n’oubliez jamais votre promesse d’être tout à fait franc, n’omettez rien de ce qui pour une raison quelconque, vous paraît désagréable à dire (…) » (2).

Comme notre divan est un sofa et que deux personnages se tiennent à quatre pattes dessus et se font face, je considère qu’ils ne font pas l’objet d’une psychanalyse mais le produit d’un certain "refoulement" de l’auteur de cette mise en scène picturale.

Le refoulement est un mécanisme de défense, mais il n’annihile pas la pulsion - le sujet ne fait que s’en défendre, refuser de se le représenter.

L’affect ne saurait, lui non plus, se voir refoulé. Il est l’expression qualitative d’une énergie, donc la transformation de l’énergie pulsionnelle en qualité.

Le refoulement touche donc la représentation : impressions, souvenirs, concepts. Il est l’opération par laquelle le sujet repousse et maintient à distance du conscient des représentations considérées comme désagréables, car inconciliables avec le Moi qui lui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel. Dans le refoulement un désir vient de l’inconscient et est renvoyer dans l’inconscient sans avoir pu accéder à la conscience. Cette opération n’est pas consciente, et les mécanismes de défense eux-mêmes sont inconscients.

Mais alors le terme "refoulement" n’est pas le nom d’un fait constaté mais celui d’un principe causal hypothétique expliquant un phénomène constaté (la résistance). Se pose alors la question de la nature de ce principe causal. Selon les positions épistémologiques, certains y verront une réalité alors que d’autres y verront une fiction imaginaire.

Lors du retour du refoulé, l’inconscient s’extériorise comme une saillie incongrue dans le discours conscient. Il fait effraction dans notre parole ou notre comportement sur le mode de l’énigme, il se répète contre notre volonté, nous intrigue et nous questionne. Ce savoir obscur qui surgit dans les "formations" de l’inconscient, véritables créations de nature langagières, est un savoir « véhiculé non pas tant par des mots que par ce que j’appelle des signifiants » avait bien compris Lacan.

Les mécanismes en œuvre étant la condensation et le déplacement, renvoyant à la métaphore et à la métonymie.

"Vorstellungsrepräsentanz" - En psychanalyse, le représentant-représentation est une représentation ou un groupe de représentations auxquelles la pulsion se lie. C’est ce qui confère à la pulsion, qui serait à la base somatique - et quantitative - son caractère psychique.

Il y aurait "substitut" comme manifestation de la pulsion de représentation et "représentation" en tant que traduction de la manifestation pulsionnelle.

Le "substitut" au sens freudien, appliqué à la pulsion, est ce par quoi cette pulsion se manifeste, ce qui est son émanation, une entité psychique, mais qui ne parvient pas à la conscience ; étant refoulée une première fois, cette entité psychique créée par la pulsion et exprimant l’existence de celle-ci cherche à se manifester d’une autre façon. Ce peut-être une image, un son, une scène, un désir.

"Vorstellung" veut dire en allemand courant l’idée que l’on se fait de quelque chose, la représentation mentale que l’on en a ; cela relève de la conscience.

Comment indiquer la simple manifestation d’une pulsion sans indiquer la forme qu’elle prend (image, image avec charge émotionnelle, affect seul) ? Freud résout le problème en introduisant le terme de "représentation", l’émanation, la manifestation de la pulsion. En allemand l’avantage de l’emploi du  substantif "repräsentanz" pour "représentation" par Freud, réside dans le fait que le sujet peut être un objet ou un être humain.

La représentation de mot et la représentation de chose distinguent chez Freud deux types de représentation.

La représentation de mot et sa liaison à la représentation de chose, sont caractéristiques du système conscience, dans lequel la satisfaction des pulsions est ajournée, retardée, ce qui permet la mise en œuvre de l’attention. Ce système est également celui du processus secondaire. La liaison de représentation de chose et de mot permet le langage.

La représentation de chose désigne la représentation psychique à un niveau "infra-verbal". La représentation de chose se situe au niveau inconscient ; elle est mise en œuvre dans le processus primaire. Une telle représentation se fonde sur des images mnésiques sensorielles, sur la reviviscence d’impressions, de perceptions. Ces souvenirs sensoriels sont liés à des pulsions sur le mode de la décharge immédiate. Ils ne parviennent pas à la conscience.

Selon Freud, il existerait deux modes de fonctionnement du psychisme. Les processus primaires, où l’énergie s’écoule librement dans le but d’une décharge la plus rapide possible par les voies les plus courtes. Ces processus sont inconscients et déterminés par le principe de plaisir. Leur but est la recherche de plaisir. Les processus secondaires sont conscients et déterminés par le principe de réalité. On utilise alors des voies détournées pour satisfaire son désir.

« Chaque fois que les gens découvrent son mensonge,
Le châtiment lui vient, par la colère accrue.
Je suis cuit, je suis cuit ! gémit-il comme en songe.
Moralité
Le menteur n'est jamais cru.» 
Alphonse Allais (3).

Salvator Dali (1904-1989) a inventé une méthode pour stimuler sa création qu’il appelait "méthode paranoïaque-critique" ou "paranoïa-critique" qu’il définissait comme « une méthode spontanée de connaissance irrationnelle, basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes ». Dali a posé les bases de ce système dès 1930, dans "L’Âne pourri"(4), et il en décrit les applications dans "La Vie secrète de Salvator Dali"(5). Si toute modestie est absente de ce livre, la sincérité de l’artiste est brûlante, l’auteur s’y dépouille de ses secrets avec une impudeur insolente, un humour débridé, une cocasserie étincelante en luttant seul contre les forces obscures de l’informe et du nihilisme.

La méthode est directement inspirée des théories de Freud et plus particulièrement de l’étude, publiée en 1911, du cas du "Président Shreber" (6). Il s’agit d’un système qui permettait à son auteur d’analyser sa propre paranoïa, de contrôler ses obsessions et ses hallucinations qu’engendre une telle maladie, afin de les utiliser dans un but créatif.

A un niveau psychiatrique la "paranoïa" est un trouble de la personnalité, les personnalités paranoïaques se caractérisent par quatre traits fondamentaux qui entraînent à terme une difficulté d’adaptation sociale telle que la surestimation pathologique de soi-même, la méfiance extrême à l’égard des autres, la susceptibilité démesurée et la fausseté du jugement. De plus, un comportement passif-agressif est souvent observé chez les paranoïaques.

Dali était un artiste plein d’imagination, il manifestait une tendance notable au narcissisme et à la mégalomanie que ses détracteurs prenaient pour un comportement publicitaire et qui devait cacher une certaine conscience bien plus profonde de lui-même et de bien d’autres réalités plus profondes dont il était le contemporain passionné.

« Je naquis double. Mon frère, premier essai de moi-même, génie extrême et donc non viable, avait tout de même vécu sept ans avant que les circuits accélérés de son cerveau ne prennent feu. » Salvador Dali (7).

Dans les années trente, Breton rendit hommage à la découverte que Dali venait de faire en écrivant qu’il venait de doter « le surréalisme d’un instrument de tout premier ordre en l’espèce la méthode paranoïaque critique qui s’est montré d’emblée capable d’appliquer à la peinture, à la poésie, à la construction d’objets surréalistes typiques, à la mode, à la sculpture, à l’histoire de l’art et même le cas échéant, à toute espèce d’exégèse. » (8).

En 1943, Dali écrivait dans son catalogue de l’exposition organisée par la Knoedler  Gallery de New York : « le surréalisme aura servit au moins pour donner des preuves expérimentales de la totale stérilité des essais pour automatiser sont allés trop loin et ont généré un système totalitaire (…) La paresse contemporaine et le manque de technique ont atteint leurs paroxysmes dans la signification psychologique de l’utilisation actuelle de l’institution universitaire. »

"Le Grand masturbateur", huile sur toile, 110 x 150 cm., 1929, Musée Reine Sofia, Madrid, Espagne ; "La Persistance de la mémoire", huile sur toile, 24 x 33 cm., 1931, Museum of Modern Art, New-York, USA ; "L’énigme de Guillaume Tell", huile sur toile, 201,5 x 346 cm., 1933, Moderna museet, Stockholm, Suede ; "Construction molle et haricots bouillis", huile sur toile, 100 x 99 cm., 1936, Philadelphia Museum of Art, USA ; "Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau", huile sur toile, 45,5 x 50 cm., 1943, Salvador Dali Museum, Saint Petersburg, Floride, USA ; "Leda atomica", huile sur toile, 61,1 x 45,3 cm., 1949, Fondation Gala-Salvador Dali, Figueras, Espagne ; "Jeune vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté", huile sur toile, 40,5 x 30,5 cm., 1954, Manoir Playboy, Los Angeles, USA ; "Galacidalacidesoxyribonucleicacid", huile sur toile, 305 x 305 cm., 1963, Salvador Dali Museum, Saint Petersburg, Floride, USA ; "Le Torero hallucinogène", huile sur toile, 398,8 x 299,7 cm., 1969, Salvador Dali Museum, Saint Petersburg, Floride, USA ; "Le Torero hallucinogène", huile sur toile, 398,8 x 299,7 cm., 1969, Salvador Dali Museum, Saint Petersburg, Floride, USA ; autant de tableau qui montre l’intérêt artistique que Dali portait à la psychanalyse mais aussi à beaucoup d’autres découvertes scientifiques de son temps (mathématique, génétique (ADN), physique quantique, optique, etc) comme autant de généreuses sources d’inspiration.

« … L’unique différence entre un fou et moi, c’est que moi, je ne suis pas fou… » Salvador Dali (9).

Jean-Bernard Pouchous - 2012.

N°3-Bibliographie :

N°3-A-1-Michel Onfray, La Puissance d’exister : manifeste hédoniste, éd. Le Livre de Poche, coll. Biblio essais, 2008.

N°3-A-2-Mikhaïl Kalachnikov et Eléna Joly, Ma vie en rafales, éd. Seuil, Coll. L'épreuve des faits, 2003.

N°3-A-3-Jean-Daniel Touly, Je comprends enfin. . . Fusées satellites et vols spatiaux non habités, éd. Lulu.com, 2011.

N°3-A-4-James Rollins, trad. Isabelle Troin, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, éd. Milady, coll. Fantasy, 2008.

N°3-A-5-Chris Morton, Ceri-Louise Thomas, trad. Emmanuel Scavée, Le mystère des crânes de cristal, éd. J’ai lu, coll. Aventure secrète, 2004.

N°3-B-1-Didier Anzieu, Le Moi-peau, coll. psychismes, éd. Dunod, 1995 (6).

N°3-B-2-Marc Halévy, Lecture du Tao - Une sagesse qui nous attend..., éd. Oxus, coll. Spiritualités, 2012.

N°3-B-3-Daniel Lindenberg, Destins marranes : l’identité juive en question, éd. Hachette, coll. Pluriel histoire, 2004.

N°3-B-4-Spinoza, Œuvre III - Éthique, éd. Flammarion, 1965.

N°3-C-1- Ibn Khaldûn, Le Livre des Exemples, éd. Gallimard, coll. La Pléiade, 2008.

N°3-C-2- La technique psychanalytique, éd. PUF, coll. Quadrige Grands textes, 2007.

N°3-C-3- François Caradec, Alphonse Allais, éd.Pierre Horay, coll. En Verve 2004.

N°3-C-4- L’Âne pourri, Editions Surréalistes, 1930 ; dans Dali, Rétrospective 1920-1980, éd. Centre Georges Pompidou, 1979-1980.

N°3-C-5- Salvador Dali, La Vie secrète de Salvator Dali, éd. La Table ronde, coll. Les vies perpendiculaires, 1952.

N°3-C-6- Sigmund Freud, Jacques André, Pierre Cotet et René Lainé, Le Président Schreber, éd. PUF, coll. Quadrige Grands textes, 2004.

N°3-C-7- Salvador Dali, Louis Pauwels, Les Passions selon Dali, éd. denoël, coll. Médiations, 2004.

N°3-C-8- Robert et Nicolas Descharnes, Dali, éd. Edita, 1993

N°3-C-9- Robert Clarke, Supercerebros de los superdotados a los genios, éd. Complutense, 2003.

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